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Le premier ministre François Legault peut jouer la carte de la transparence et volontairement lever le secret des délibérés de sa cellule de crise s’il le souhaite, estime un expert du droit constitutionnel.
Le premier ministre François Legault peut jouer la carte de la transparence et volontairement lever le secret des délibérés de sa cellule de crise s’il le souhaite, estime un expert du droit constitutionnel. « La balle est dans (son) camp », a déclaré en entrevue le professeur Patrick Taillon, après que Québec solidaire (QS) eut réclamé jeudi en Chambre la levée du secret gouvernemental.
Le porte-parole de QS en santé, Vincent Marissal, s’indigne que la coroner Géhane Kamel, qui enquête sur les décès survenus en CHSLD lors de la première vague, ne puisse poser toutes ses questions. Elle a conclu une entente « pragmatique » avec le Procureur général du Québec qui lui a permis d’interroger l’ex-ministre de la Santé Danielle McCann, mais sur certains enjeux seulement, observe-t-il. Par exemple, lorsqu’un avocat qui participait à l’enquête lui a demandé comment s’était déroulée la discussion sur les proches aidants, Mme McCann a déclaré: « Je ne peux pas répondre. »
Le gouvernement Legault se « cache » derrière le secret gouvernemental, a lancé en entretien M. Marissal, qui réclame une enquête publique et indépendante sur la gestion de la pandémie. « Ça musèle en quelque sorte les questions qui pourraient être un peu trop intrusives dans le processus décisionnel. (…) C’est frustrant. (…) Ça ne devrait pas servir d’esquive », a-t-il pesté.
Le 18 novembre, la coroner avait elle-même abordé de front le sujet. S’adressant aux avocats dans la salle, elle s’était défendue d’être arrivée à une solution de compromis, afin de respecter le secret gouvernemental. « C’est un privilège qui est enchâssé dans la loi. J’aurais pu décider de le débattre (...) puis à ce moment-là, on se serait retrouvé en Cour supérieure (...) pendant des mois », a-t-elle déclaré. Cela aurait eu pour effet de reporter l’enquête « aux calendes grecques », selon la coroner. « J’ai plutôt privilégié l’approche de terminer cette enquête-là (...) sans entrer dans les discussions stratégiques du cabinet. Il me semble que pour les familles, c’était un moindre mal », a-t-elle ajouté. M. Marissal déplore que la coroner doive « circuler dans une toute petite rue » au lieu d’un « boulevard ou une autoroute beaucoup plus large ».
Selon Patrick Taillon, la coroner a fait un calcul « coût-bénéfice ». La levée du secret gouvernemental est « extrêmement rare », souligne-t-il. Dans l’histoire récente, seule l’affaire Jody Wilson-Raybould à Ottawa lui vient à l’esprit. « J’avais vu que le conseil des ministres avait le droit de volontairement accepter de lever une partie du secret. » Mais le secret des délibérés est « fondamental, constitutionnel, protégé, blindé », ajoute le professeur de l’Université Laval. La parole est libre au conseil des ministres, « sinon, ça ne fonctionnerait pas ». L’expert est d’avis que s’il devait y avoir une levée du secret, elle ne pourrait être que partielle et sélective, pour ne cibler que certaines informations jugées nécessaires à l’enquête. « Ça ne pourra jamais être: “On ouvre tout”. » M. Taillon voit deux raisons qui militent contre une levée: elle sera toujours insatisfaisante aux yeux des partis d’opposition et elle créerait un précédent. « Un gouvernement qui commence à jouer avec son secret des délibérés volontairement, bien, il va le refaire quand, et le fait qu’il l’a fait va devenir un argument pour répéter la chose », affirme-t-il. Le défi du gouvernement Legault est de montrer qu’il peut collaborer aux enquêtes, et fournir les meilleures informations possibles, sans pour autant compromettre le secret des délibérés, selon l’expert.
Jeudi, le ministre de la Santé, Christian Dubé, a de nouveau invité l’opposition à patienter jusqu’à la fin des trois enquêtes (Protectrice du citoyen, coroner, commissaire à la santé). Il a laissé entendre qu’elles allaient démontrer que son gouvernement n’avait pas toutes les informations en main au début de la crise pour « gérer proprement ». « Les trois enquêtes qui ont été soit lancées ou complétées vont nous aider à faire le point. Je pense que c’est la bonne façon de procéder », a-t-il plaidé. M. Dubé a également annoncé qu’il présentera, vendredi, un projet de loi concernant la gestion des renseignements de santé et de services sociaux.