Le gouvernement Legault ne fait pas confiance aux tribunaux pour protéger le droit à l’avortement à long terme, a laissé entendre mercredi le ministre de la Justice, Simon Jolin-Barrette.
Il a ainsi justifié sa volonté d’enchâsser ce droit dans son projet de constitution québécoise, le projet de loi 1, qui sera soumis à des consultations en commission parlementaire à compter de jeudi.
En mêlée de presse mercredi matin, M. Jolin-Barrette a dit entendre les critiques et a suggéré qu’il était ouvert à modifier son projet de loi pour les rassurer.
Des médecins, des juristes et des groupes sociaux soutiennent pour leur part que d’inscrire le droit à l’avortement dans une constitution l’exposerait plus facilement à des contestations judiciaires, par rapport aux décisions des tribunaux qui ont fait jurisprudence.
En 2023, même la collègue de M. Jolin-Barrette, Martine Biron, lorsqu’elle était ministre de la Condition féminine, avait voulu légiférer, puis avait renoncé pour cette même raison. Mais le ministre de la Justice revient à la charge et maintient que sur le fond, tous ont le même objectif.
«Mon objectif est le même que ceux des groupes», c’est-à-dire protéger le droit à l’avortement, a assuré le ministre.
«Moi je suis inquiet pour maintenant, pour le futur aussi et il faut s’assurer d’avoir des balises claires», a-t-il ajouté, alors que «partout en Occident on attaque le droit des femmes».
À son avis, des tribunaux pourraient ainsi très bien changer d’idée et invalider des décisions qui confirment actuellement le droit à l’interruption de grossesse, de là la nécessité d’affirmer l’obligation de l’État d’agir.
«Il faut être capable de dire les choses et que l’État québécois va défendre ce droit», a argué le ministre.
Québec solidaire (QS) a déposé mercredi matin une motion avec l’appui des deux autres partis d’opposition pour que la Coalition avenir Québec (CAQ) fasse marche arrière et retire la disposition sur l’avortement de son projet de loi, mais le gouvernement a refusé son consentement pour en débattre.
«Que l’Assemblée nationale prenne acte des avertissements répétés du Barreau du Québec et du Collège des médecins, qui jugent que les risques encourus surpassent les bénéfices d’inscrire l’interruption volontaire de grossesse dans une loi fondamentale», plaidait la motion qu’a déposé la cheffe parlementaire de QS, Ruba Ghazal.
La motion rappelait aussi que selon ces ordres professionnels, «une telle codification créerait ‘un cadre juridique susceptible d’être contesté’ et offrirait ‘un levier aux mouvements anti-choix’, fragilisant ainsi un droit actuellement bien protégé».
Dans une lettre ouverte publiée par Le Devoir mercredi, pas moins de 458 médecins opposés à la démarche du ministre soutenaient que «l’avortement est un soin médical, pas un débat juridique».
Les consultations prévues en commission parlementaire s’annoncent pour être les plus importantes de la législature à ce jour, puisque pas moins de 211 interlocuteurs se feront entendre.
«On entend tout le monde», a fait valoir M. Jolin-Barrette.
La constitution du Québec est une proposition législative qui ratisse en fait beaucoup plus large que l’enjeu de l’avortement.
En plus de la loi sur le français langue officielle et de la loi sur la laïcité, la constitution viendrait protéger la Loi sur l’intégration à la nation québécoise adoptée récemment par le gouvernement Legault, ainsi que la Charte de la langue française. La constitution elle-même serait aussi protégée de la sorte. De nouvelles lois pourraient s’ajouter à la liste.
Également, l’ébauche de texte constitutionnel interdirait à des organismes d’utiliser des fonds publics pour contester des lois considérées comme fondamentales pour le Québec, comme justement la loi sur le français langue officielle et la loi sur la laïcité de l’État.
La constitution viserait également à renforcer l’égalité entre les hommes et les femmes en lui donnant préséance sur la liberté de religion en cas de conflit entre les deux principes.
Elle compte aussi protéger le droit des Québécois d’avoir recours à l’aide médicale à mourir.
De même, le gouvernement veut modifier la Loi constitutionnelle de 1867 pour y intégrer «trois nouvelles dispositions aux caractéristiques fondamentales du Québec, soit la laïcité de l’État, le modèle d’intégration à la nation québécoise et la tradition civiliste».
Le texte proposé comprend également d’autres dispositions:
- remplacement du titre de lieutenant-gouverneur par celui d’officier du Québec;
- protection du droit de l’Assemblée nationale d’utiliser la clause dérogatoire;
- intégration d’une doctrine Gérin-Lajoie actualisée pour renforcer la capacité d’agir du Québec à l’international;
- création d’un Conseil constitutionnel qui donnera son avis notamment sur les conséquences des ingérences du fédéral;
- participation du Québec au processus de nomination des sénateurs et des juges de la Cour suprême.

