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Des dissidents russes prient Ottawa d’accepter des compatriotes détenus aux E.-U.

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Ilia Yachine (à gauche), et Natalia Arno, deux dissidents russes, s'amènent à la Colline du Parlement d'Ottawa, le 3 décembre 2025. LA PRESSE CANADIENNE/Justin Tang Ilia Yachine (à gauche), et Natalia Arno, deux dissidents russes, s'amènent à la Colline du Parlement d'Ottawa, le 3 décembre 2025. LA PRESSE CANADIENNE/Justin Tang (Justin Tang)

OTTAWA — D'éminents militants russes pour la défense de la démocratie exhortent Ottawa d'accepter quelques dizaines de compatriotes qui pourraient être déportés en Russie après avoir tenté de chercher refuge aux États-Unis.

Ces militants ont déclaré à La Presse Canadienne que 30 ressortissants russes détenus par le Service de l’immigration et des douanes des États-Unis (ICE) s'exposeraient à de très graves conséquences s'ils étaient renvoyés. Ils ont ajouté que près d'un millier de Russes pro-démocratie aux États-Unis sont menacés d'expulsion.

«Nous souhaitions tisser des alliances ici au Canada, car la solidarité est notre meilleure arme contre les dictateurs, a déclaré Natalia Arno, fondatrice de la Fondation Russie libre. Le Canada, par sa voix, est un pays essentiel pour nous.»

La semaine dernière, Mme Arno s'est rendue à Ottawa, à Toronto et à Montréal pour rencontrer des représentants canadiens en compagnie d'Ilia Yachine, un politicien de l'opposition.

Mme Arno et M. Yachine ont indiqué avoir conseillé des responsables fédéraux sur la manière dont l'ambassade du Canada à Moscou pourrait être utilisée pour soutenir le mouvement pro-démocratie. Ils ont affirmé que le moyen le plus efficace de soutenir la démocratie en Russie est de se mobiliser pour l'Ukraine.

Mme Arno, qui vit à Washington, a été contrainte de quitter la Russie en 2012. Des vagues de citoyens russes ont fui le pays face à la répression croissante de la société civile par Moscou, notamment depuis l'invasion de la Crimée par la Russie en 2014, l'assassinat en 2015 de Boris Nemtsov, un opposant virulent du président russe Vladimir Poutine, et l'invasion à grande échelle de l'Ukraine en 2022.

Des dizaines de Russes qui ont demandé l'asile aux États-Unis par voie légale ont été placés en détention ou tentent de vivre sans statut clair, a rapporté M. Yachine, ancien chef de parti d'opposition et conseiller municipal de Moscou.

«Nous cherchons un moyen de les défendre et de leur sauver la vie», a-t-il soutenu.

Mme Arno et M. Yachine ont souligné que les États-Unis ont renvoyé en Russie au moins deux avions remplis de personnes expulsées cette année. Mme Arno estime que ces vols transportaient une centaine de personnes.

Ils ont cité le cas de Leonid Melekhine, un partisan de l'opposition qui s'est vu refuser l'asile aux États-Unis et qui a été arrêté à son retour en Russie cette année. Des informations contradictoires circulent quant à savoir si M. Melekhine a été expulsé ou s'il est rentré volontairement.

M. Melekhine est désormais inculpé de terrorisme pour avoir publié une affiche faisant allusion à la pendaison de Vladimir Poutine.

Ils ont également cité le cas d'Artiom Vovchenko, enrôlé de force dans l'armée et ayant fui la Russie pour les États-Unis, avant d'être expulsé par Washington en août. M. Yachine a indiqué que M. Vovchenko avait disparu et qu'il pourrait avoir été déployé en Ukraine pour combattre.

Pas de réponse claire du fédéral

M. Yachine a affirmé que l'administration du président américain Donald Trump était déterminée à expulser le plus grand nombre possible d'étrangers des États-Unis, sans se soucier de leur ultime destination.

Il a suggéré que le Canada pourrait demander aux États-Unis d'y envoyer ses ressortissants russes.

Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada n’a pas répondu directement à la question de savoir si le gouvernement serait ouvert à la création d’un programme de réinstallation des dissidents russes résidant aux États-Unis.

«Le Canada applique un processus rigoureux d’évaluation des demandes d’asile qui concilie nos objectifs humanitaires, nos obligations légales et les mesures de sûreté et de sécurité», a écrit le porte-parole du ministère, Rémi Larivière.

Affaires mondiales Canada a confirmé que ses représentants ont rencontré Mme Arno et M. Yachine mercredi.

«Les discussions ont porté sur un aperçu général de la situation intérieure en Russie et sur leur soutien à l’Ukraine face à la guerre d’agression menée par la Russie», a rapporté la porte-parole du ministère, Clémence Grevey.

Mme Arno a déclaré que les membres du mouvement pro-démocratie russe étaient «les premières victimes du régime du Kremlin» et aussi «les premiers à alerter le monde sur la nature criminelle, dangereuse, corrompue et meurtrière du régime de Poutine».

«Nous sommes ceux qui souhaitent assumer nos responsabilités et améliorer notre pays, et nous avons besoin d'alliés», a-t-elle plaidé.

Mme Arno a ajouté que le Canada devrait aussi envisager d'accueillir davantage d'Ukrainiens si les États-Unis mettaient fin au statut temporaire qui permet à des milliers d'entre eux de vivre sur leur territoire.

Elle a dit que l'invasion russe était combattue par des minorités ethniques provenant de régions reculées de Russie.

«C'est un génocide en Ukraine, mais c'est simultanément un génocide à l'intérieur de la Russie», a-t-elle déclaré.

Le Canada comme modèle

Mercredi, Mme Arno et M. Yachine ont participé à la manifestation organisée chaque année devant l'ambassade de Russie à Ottawa par des sympathisants de l'Ukraine.

Leur visite survient dans un contexte de tensions publiques entre dissidents russes et militants ukrainiens. De nombreux Ukrainiens se sont demandé pourquoi les civils russes n'avaient pas organisé de manifestations de masse et ont fait remarquer que certains Russes pour la démocratie avaient minimisé l'idée que l'Ukraine était une nation distincte.

Mme Arno et M. Yachine ont affirmé que la lutte de l'Ukraine pour la paix et la souveraineté est essentielle à l'avenir de tout le continent, y compris celui de la Russie.

«L'ambition de Poutine est de changer l'ordre mondial, et il va ruiner le système de sécurité européen, il va ruiner tout l'ordre mondial», a soutenu M. Yachine.

«Si Poutine gagne en Ukraine, son régime se renforcera, la répression contre les gens comme moi s'intensifiera, et la Russie perdra tout simplement son avenir.»

M. Yachine a ajouté que les blogueurs nationalistes qui rendent compte de la guerre menée par la Russie contre l'Ukraine critiquent souvent leurs compatriotes russes qui tentent d'échapper à la conscription, précisant que «le peuple russe ne soutient pas cette guerre».

Lui et Mme Arno ont déclaré que les dirigeants occidentaux, inquiets du risque de chaos politique dans un pays doté d'un arsenal nucléaire massif, sont beaucoup trop timides pour appeler à la chute du régime de Vladimir Poutine.

En mars 2023, alors qu'elle était ministre des Affaires étrangères, Mélanie Joly avait fait beaucoup parler en évoquant publiquement la possibilité d'un «changement de régime en Russie» en raison de l'isolement croissant de Moscou. Les libéraux n'ont pas réitéré ce message depuis.

«Le Kremlin se trouve actuellement dans une situation très délicate, a indiqué Mme Arno. Nous devons continuer à exercer une pression constante sur ses points faibles.»

M. Yachine a également suggéré que le Canada modifie sa formulation concernant les sanctions afin de les présenter comme visant le régime de M. Poutine, plutôt que la Russie en tant que pays. Il a affirmé que les médias russes parlaient de «sanctions contre la Russie» pour diffuser une propagande prétendant que les pays occidentaux sont motivés par la haine envers le peuple russe.

«Il est beaucoup plus judicieux de ne pas créer ce sentiment de culpabilité collective, mais plutôt de chercher des alliés au sein de la société russe», a-t-il déclaré.

Mme Arno a fait valoir que le Canada peut mettre en lumière le travail des dissidents russes, y compris les prisonniers politiques, en évoquant leur courage d'une manière qui trouve un écho auprès des Russes.

M. Yachine et Mme Arno ont dit que les dissidents russes pourraient aider le Canada à adapter ses sanctions et partager des informations sur la manière dont ils ont réussi à contourner la censure croissante en ligne.

Mme Arno a déclaré que les dissidents russes considèrent le Canada comme un exemple de ce que leur pays pourrait devenir un jour: un pays pluraliste et ethniquement diversifié qui défend la démocratie et les droits de la personne.

«Nous disons toujours, lors de nos discussions, que le Canada est l’exemple le plus pertinent», a-t-elle affirmé.

Dylan Robertson, La Presse Canadienne