C’était beau à voir. Au théâtre, un dimanche après-midi, il y avait plusieurs adolescents et jeunes adultes dans la salle, j’estime qu’ils composaient le tiers de l’auditoire. Accompagnés de leurs parents, de leurs grands-parents, ils étaient là pour assister à la pièce Janette.
Et j’y étais. Avec mon adolescente de 16 ans et mon fils de 18 ans.
Dix jours avant, je leur avais annoncé que nous allions ensemble au théâtre. L’enthousiasme n’était pas débordant, dois-je dire.
Ils ont bougonné. Le jour même, ma fille m’a solennellement annoncé qu’elle avait «beaucoup d’études» et qu’elle n’était pas certaine de pouvoir se joindre.
«Le billet est acheté. Tu viens. Point.» Ma réponse ne lui a pas plu. J’ai eu droit à son (célèbre) regard de biais, signe d’une exaspération innommable.
C’est rare que «j’oblige» mes ados. Mais cette fois, j’étais intraitable. Devant les arguments de Fiston, j’ai annoncé: «C’est une leçon d’histoire. C’est un non-choix. C’est un devoir. C’est comme ça.»
Habile débatteur, il m’a fait remarquer que c’était «un drôle de cadeau» puisque c’était aussi «un devoir». Son cynisme ne m’a pas ébranlée.
Mère ingrate
C’est donc dans cet excès d’entrain et d’allégresse que nous avons pris le chemin du théâtre, dans le froid polaire d’un dimanche gris. Assis tout près de la scène, mes deux grands scrollaient sur leurs téléphones jusqu’à ce que les rideaux s’ouvrent. Ils ont éteint, résignés.
J’étais un peu nerveuse, je l’admets. Allaient-ils se mettre à chialer? À ronfler? Pire, voudraient-ils quitter inopinément? M’en voudraient-ils à la vie à la mort pour cette «tâche» culturelle? Mère indigne et ingrate que je suis.
Mais je savais ce qui s’en venait: j’avais vu la pièce déjà.
Pendant une heure et cinquante minutes, Guylaine Tremblay incarne la célèbre et unique Janette Bertrand (le rôle de sa vie, si vous voulez mon avis) avec délicatesse et sensibilité. Aucune faille dans son jeu. Janette, c’est elle!
Émancipation
Toute l’histoire du Québec, de la naissance de Janette en 1925 à aujourd’hui, se déroule sous nos yeux, dans un mélange d’anecdotes, de chansons, de récits. À travers le parcours de Janette, fille mal-aimée à l’enfance et un brin rebelle dans sa jeunesse, on traverse les époques et on revisite tous les grands événements qui ont marqué les Québécois.
La visite des Beatles, les débuts de la radio puis de la télévision, la place de la religion, la contraception, l’arrivée de la mini-jupe, la tuerie de polytechnique, les débuts de Céline Dion, l’entrée massive des femmes à l’université puis sur le marché du travail, l’accès à l’avortement… C’est aussi l’histoire du féminisme, de l’émancipation des femmes, qui est racontée.
Le texte de Rébecca Déraspe et la mise en scène de Jean-Simon Traversy servent l’œuvre sans jamais tomber dans la condescendance ni la complaisance. On se laisse porter. On apprend. On rit, on pleure.
Et on comprend mieux d’où on vient.
Verser des larmes
J’ai jeté des regards furtifs vers mes enfants tout au long de la pièce. Attentifs, les yeux brillants, ils n’ont pas bronché — même lorsque les scènes ont versé dans la comédie musicale, ce qui n’est pas particulièrement leur tasse de thé.
Après les applaudissements, les rappels, la sortie à l’extérieur, sous les flocons, dans le froid piquant de la métropole, tous deux m’ont avoué qu’ils ne connaissaient pas Janette avant la pièce — mais qu’ils n’étaient pas près de l’oublier.
Tous deux ont avoué avoir été émus pendant la pièce, à des moments différents. Le nombre de tabous levés par Janette, à travers sa carrière, les a surpris. Comment une seule personne peut-elle aider autant d’individus, de familles, un peuple tout entier?
Transmission et mémoire
Tous deux ont retenu le courage, la persévérance, la curiosité, l’ouverture. Le talent de communicatrice. Son audace. Son avant-gardisme.
Mais aussi ses embûches, ses erreurs, ses choix heureux et malheureux. Et surtout, le témoignage criant qu’elle livre: vivre, c’est expérimenter, foncer, essayer, se tromper, tomber, se relever.
Comme le Québec. Comme les Québécois.
Je sais que je suis privilégiée d’avoir pu leur offrir pareille activité. J’aimerais que tout le monde voie ce chef-d’œuvre, aussi touchant qu’utile.
Après tout, c’est un devoir. Un devoir de transmission. Et un devoir de mémoire.
*La pièce Janette est présentée chez Duceppe jusqu’au 12 décembre 2026 — et oui, il reste des billets.
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