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«Non, il ne blague pas, le bougre.»
Me souviens, avec une certaine précision, de la première boutade trumpiste quant à une velléité d’annexion. Alors que ses fans du Nord gloussaient leur habituelle (et malaisante) admiration, d’autres annonçaient la blague rustre et inconvenable, modus operandi fréquent de la bête élue. Une poignée, à laquelle j’appartenais, devait plutôt se raidir d’indignation : non, il ne blague pas, le bougre.
Parce que Trump 2.0. a assez peu à voir, quand on y songe un brin, avec la première mouture. Pensons prise du Capitole. Pensons citations répétées d’Hitler. Pensons Musk et saluts nazis. Pensons le reste de son cabinet actuel. Pensons 2025 Project. L’antonyme, par excellence, de la subtilité.
En bref, si les traits fascisants du personnage étaient déjà manifestes dès 2016, reste qu’un néo-Trump émerge sous nos yeux depuis ladite insurrection du Capitole. Une volonté assumée de métamorphoser sa relation, déjà insidieuse, avec le pouvoir. Un désir décomplexé de remporter la mise au Risk, version vraie vie.
Parlant du réel, justement : comment qualifier, juridiquement parlant, les tarifs maintenant applicables? Il importe, bien entendu, de considérer le contexte géo-politique dans lequel ceux-ci s’inscrivent. Dans le cas présent : l’annonce de la stratégie trumpiste d’étouffer économiquement le Canada afin de forcer éventuellement sa jonction.
Un détour par le Statut de Rome, lequel donne naissance à la Cour pénale internationale, assure l’éclairage de nos lanternes. On y lit :
Article 8 bis3
Crime d'agression
1. Aux fins du présent Statut, on entend par «crime d’agression» la planification, la préparation, le lancement ou l’exécution par une personne effectivement en mesure de contrôler ou de diriger l’action politique ou militaire d’un État, d’un acte d’agression qui, par sa nature, sa gravité et son ampleur, constitue une violation manifeste de la Charte des Nations Unies.
N’est-ce pas précisément ce dont il est question, en l’espèce? Diriger une action politique concertée dans l’optique avouée et admise de mettre la main - pour une poignée de change - sur un pays du G7, sympathique mais économiquement dépendant et militairement freluquet? Pas convaincus? Fort bien. Un œil sur la suite du Statut:
2. Aux fins du paragraphe 1, on entend par «acte d’agression» l’emploi par un État de la force armée contre la souveraineté, l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique d’un autre État, ou de toute autre manière incompatible avec la Charte des Nations Unies.
Toujours dubitatifs? Pensons alors à la Déclaration d’Helsinki de 1975 - signée à la fois par le Canada et les États-Unis - et sanctifiant le respect des droits inhérents à la souveraineté, l’inviolabilité des frontières et l’interdiction de… recourir à des menaces.
Noir sur blanc : quiconque menace économiquement dans un dessein d’annexion forcée se voit coupable de crime d’agression en vertu du droit international. Or, l’application des tarifs trumpistes, à moins d’être dupes nec plus ultra, s’avère la simple première étape d’une machination annoncée par le principal intéressé : nous dévorer tout rond, plutôt que plus tard.
À partir de ce moment précis, deux scénarios : a) la population cède et se rend par voie référendaire, vraisemblablement; b) elle résiste au bully et refuse de se livrer à ses fantasmes d’annexion.
Si la première option sonne le glas des réflexions en droit international, la deuxième force, pour sa part, un second tour de piste. Par exemple : l’ONU et l’OTAN pourraient-ils nous venir en aide?
Si la Charte de l’ONU prévoit la possibilité d’une réplique militaire - formule d’ailleurs éprouvée lors de l’invasion du Koweit par l’Irak - reste que toute offensive onusienne doit recevoir l’approbation de son Conseil de sécurité. Et qui y détient un veto, déjà? Un indice : un président vient d’y être élu après avoir déclaré que les migrants y bouffent chats et chiens domestiques.
Quant à l’OTAN, l’article 5 de son traité stipule que toute attaque armée contre un de ses membres oblige la riposte militaire. En théorie, donc, bingo. Sauf que sachant que les États-Unis sont également membres de l’organisation, disons que l’on nage ainsi en plein brouillard normatif. Si on avait à parier? L’argent de l’épicerie sur ceci : nos alliés européens, pétris de trouille à l’idée d’affronter Donald, plaideront ledit brouillard avant de se dégonfler.
La poisse, donc.
L’ONU et l’OTAN n’étant d’aucun secours réel, resterait ainsi les recours potentiels en vertu de la Déclaration d’Helsinki et du Statut de Rome susmentionnés. Le problème? Majeur. Parce que bien que sympathique, la Déclaration constitue un simple document symbolique, sans effet concret.
Et quant au Statut de Rome, seuls ses signataires peuvent être poursuivis devant la Cour pénale. Et qui se veut aux abonnés absents? Voilà. Une exception, cela dit : que le Conseil de sécurité de l’ONU accorde une exemption afin de poursuivre un pays non-membre dudit Statut. Et qui, on le répète, jouit d’un droit de veto sur ce même Conseil de sécurité? Re-voilà.
Morale de l’histoire?
Que nous sommes dans le trouble.
Solide.