Il est venu ce temps de l’année où les parents se cassent la tête avec le choix d’une école secondaire pour leur enfant et où ces mêmes enfants stressent avec les résultats de leurs tests d’admission.
J’ai d’ailleurs lu avec attention le texte de ma collègue Claudine Potvin sur cette plateforme: l’école publique ou privée: laquelle choisir? Je vous conseille d’aller le lire si vous vous posez ce genre de question. C’est très éclairant.
Je me permets cependant d’ajouter quelques bémols à propos de ce fameux choix, qui n’en est pas un pour plusieurs familles. Je dévoile tout de suite mon jeu. Je suis allée à l’école privée au primaire et au secondaire. Mais en secondaire 4, j’ai décidé de m’en aller au public, car l’école privée dans laquelle j’évoluais ne me convenait pas.
Mes parents avaient le choix. Autrement dit, ils avaient les moyens. J’étais une enfant unique dans une famille privilégiée. Mes parents auraient dû lire le texte de Claudine, en revanche. Ils auraient compris que le privé, ce n’était pas pour moi.
J’ai maintenant des enfants à mon tour, trois pour être plus précise. Pour le moment, tout ce beau petit monde fréquente l’école publique. Pourquoi? Je n’ai tout simplement pas les moyens d’envoyer cette quantité d’enfants dans le système privé (et j’ai un bon salaire).
Tout le monde ne peut pas se payer l’école privée. Là, j’entends ceux qui ont fait ce choix, que je respecte, dire que ce n’est pas si pire que ça, que tout est une question de choix et de priorité. C’est vrai. Pis c’est pas vrai en même temps.
Quand on sait que s’ajoutent aux frais de bases (qui se situent généralement entre 2500$ et 5000$ dans les écoles privées subventionnées) les uniformes, les sorties scolaires, les voyages organisés (?!), le matériel informatique et autres dépenses inscrites en petits caractères, ça devient vertigineux. Tout ça fait gonfler la facture, et pas juste un peu.
Une mère de mon entourage, qui gagne très bien sa vie, me confiait récemment qu’elle avait visité plusieurs collèges privés sur la Rive-Sud de Montréal. Elle a été très étonnée de constater que les frais scolaires s’élèvent dans la plupart des cas à 5000$ auxquels il faut ajouter un montant pour le programme spécial, par exemple sport études, et le transport scolaire. Résultat: 2300$ de frais supplémentaires.
Faites le calcul sur 5 ans et multipliez ça par le nombre d’enfants. Ça peut très vitre devenir un montant mirobolant. Et là je ne parle pas des enfants qui fréquentent les programmes hockey. La charge financière annuelle des parents peut aller jusqu’à 10 000$ par enfant.
Je suis écœurée, donc, qu’on me présente l’école privée comme étant un vrai choix. Et je suis encore plus écœurée du système scolaire à deux vitesses, voire à trois vitesses, qu’on a au Québec.
La troisième vitesse, c’est celle constituée par tous les programmes spéciaux qu’on a tranquillement développés dans le réseau public pour « concurrencer » le privé. Le PEI (programme d’éducation internationale) en est un bon exemple. Et je plaide coupable. Mes deux enfants au secondaire fréquentent ces programmes contingentés et plus onéreux.
«Oh, il va aller à quelle école ?»
C’est pas mêlant, c’est rendu que les parents sont «gênés» de dire que leurs enfants fréquentent le public «régulier».
Même moi je me dépêche de dire, quand quelqu’un me demande à quelle école vont mes enfants, qu’ils sont dans des programmes spéciaux: «oui, mais il est en sport études. Oui, mais il est au PEI». Mes interlocuteurs sont souvent très soulagés de l’apprendre.
Est-ce qu’on peut blâmer les parents de ça? Vraiment pas. Est-ce qu’on peut blâmer les parents d’envoyer leurs enfants au privé étant donné l’état de nos écoles et la pénurie d’enseignants.es et de personnel? Non.
Est-ce qu’on peut blâmer des enseignants.es ou des orthopédagogues de vouloir aller faire carrière dans des écoles privées pour avoir des conditions, des ressources et des milieux d’enseignements qui ont de l’allure? Absolument pas.
Mais le résultat qu’on a, en ce moment, c’est justement un système scolaire où l’égalité des chances n’est qu’une belle théorie et n’a rien «d’universel».
C’est «dégueulassement classiste» de dire ça, mais ce nest pas vrai que tout le monde a la même chance: t’as pas le même réseau de contacts en sortant de Brébeuf qu’en sortant d’une école publique située dans un quartier avec une réalité socio-économique difficile, disons.
Il faut vivre sous une roche pour ne pas voir qu’il y a depuis des années une désertion vers le privé et que l’écart se creuse de plus en plus entre les «bons» (ceux qui passent les tests d’admission) et les « mauvais » élèves (ceux qui ne peuvent qu’aller au public). Et on ne peut pas blâmer les parents qui font le choix du système privé. Je les comprends tellement.
Si on payait la vraie facture?
Si on avait un réseau d’écoles privées non subventionné, ceux qui veulent et peuvent payer pourraient y envoyer leurs enfants. Les autres devraient fréquenter le public. Le gouvernement n’aurait alors d’autre choix que d’investir en masse, car il y aurait une affluence importante d’étudiants.
Si on arrêtait de subventionner l’école privée et que les parents devaient payer le plein montant, parions que beaucoup n’auraient pas les moyens de payer la « vraie » facture. Pourquoi, alors, on subventionne ces écoles au lieu de mettre notre argent dans notre système public afin de le redresser? Ça ne me rentre pas dans la tête.
Il faut vraiment arrêter de dire qu’envoyer son enfant à l’école privée c’est juste une question de choix. Tant mieux si vous pouvez le faire, ce choix. Tant mieux si à coup de sacrifices, vous y parvenez. J’ai cependant très hâte qu’on tienne compte des gens qui n’ont pas le luxe de le faire, ce choix, même en se privant.
Ce n’est pas normal, il me semble, qu’il y ait un tel clivage dans notre système scolaire et qu’on ait l’impression qu’en ne payant pas 5000$ par année pour envoyer son enfant au privé, on ne lui promet pas un avenir aussi brillant que les autres. Et c’est encore moins normal que des enfants regardent par terre, honteux, quand ils doivent « avouer » à leurs petits amis qu’ils vont juste aller à l’école de quartier.

