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«Mon corps se révolte contre mon corps.»
Les rideaux sont tirés. Il fait noir dans la maison de Sophie. Elle sort peu de sa résidence, ne va pas au parc avec ses enfants, ne pratique aucun sport. Tout l’été, la vie de Sophie est sur pause.
En avril, son moral commence à fléchir. En mai, il chute. Juin, juillet, août sont des mois terribles pour Sophie. Elle respire à nouveau en septembre ; encore mieux en octobre.
La Montréalaise de 46 ans est atteinte de lupus systémique, une maladie auto-immune chronique.
«C’est une maladie insidieuse qui fait que mon système immunitaire, au lieu de me protéger et de faire une barrière entre mon corps et le monde extérieur, se retourne contre moi», raconte-t-elle.
Un Canadien sur mille souffrirait de lupus, selon l’association Lupus Canada. Entre 15 et 45 ans, huit fois plus de femmes que d’hommes sont atteintes de lupus.
Démangeaisons, toux, essoufflement, maux de tête, douleurs articulaires, enflures, étourdissements, fatigue… La liste de symptômes de Sophie est longue. Et imprévisible. «Chaque personne atteinte de lupus systémique vit cela différemment», explique Sophie, belle-mère de deux enfants.
Ce qu’elle craint le plus ? L’inflammation. Car cela pourrait dégénérer en péricardite : Sophie ressent alors des douleurs thoraciques intenses puisque l’enveloppe de son cœur est atteinte.
Suivie par une équipe médicale, elle applique à la lettre les recommandations pour sauver sa peau — littéralement. Et la toute première de la liste, c’est de ne pas s’exposer au soleil. De le fuir. De le considérer comme son ennemi numéro un.
«Le soleil active la maladie, dit-elle. Si je m’expose juste un peu, j’ai de la difficulté à marcher et à respirer. Je sors lors des journées grises, de préférence le matin tôt ou le soir. Je sais qu’il n’y a pas de danger à ces moments-là.»
Sophie n’a pas toujours été comme ça. Elle me parle de son long cheminement pour découvrir de quoi elle était atteinte. «J’avais 24 ans lorsque j’ai fait une grosse poussée de fièvre après une journée de plein air. Cela empirait de jour en jour. Les diagnostics se sont multipliés, les médecins ne comprenaient pas ce qui se passait.»
Le verdict est finalement tombé et Sophie a compris que sa vie ne serait plus jamais la même. Pour survivre, et cesser de souffrir, elle devait se confiner l’été. La prudence et la prévention allaient dorénavant être ses priorités, en tout temps.
«Mon corps se révolte contre mon corps. Ma tête, elle, doit rester froide. J’essaie de rester en contrôle, mais il y a des jours où ça va moins bien…»
Parce que si elle peut maîtriser les paramètres pour rester en santé physiquement, mentalement c’est autre chose. Sophie vit l’été en dépression saisonnière. Privée de toutes sortes de petits plaisirs au quotidien, elle se bat avec ses démons. L’insomnie débarque la nuit, l’appétit disparaît, les crises de panique font surface, Sophie est fatiguée, déprimée, frustrée aussi.
«Ce n’est pas toujours facile de voir tous ces gens heureux, l’été, à courir les festivals, les événements, les apéros sur les terrasses, les journées à lire au soleil, quand toi, tu es mal en point et tu ne peux pas mettre le nez dehors. J’essaie de rester positive et sereine. Ça ne marche pas tous les jours.»
Son amoureux et ses deux enfants (elle est belle-maman d’un garçon de 9 ans et d’une préadolescente de 12 ans) vont au parc, à la piscine du quartier, à la plage, à la montagne. La vie continue.
En arrêt de travail pour le moment (elle est traductrice dans le milieu légal), Sophie attend toujours avec impatience une date : celle de la fête du Travail, au début du mois de septembre. Cela marque le début du retour du temps plus frais. Enfin, c’était vrai jusqu’à ces dernières années.
«Les changements climatiques me préoccupent d’un point de vue carrément personnel, confie-t-elle. Des canicules, en septembre, ce n’est plus rare. Dans mon cas, cela prolonge mon temps en “prison”… Vivement la rentrée !»