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«On nous donne 270$ par semaine pour survivre. On n’est pas au courant si de nouvelles mesures pour le loyer commercial ou pour aider à payer une partie des salaires seront mises en place. On se sent de retour en mars 2020.»
Ceci devait être une chronique sur 2022. Une lettre ouverte d’amour à la culture qui, tel le phénix, renaissait de ses cendres. Mais ce foutu Omicron a tout changé l’instant d’un dépistage.
L’espoir s’est envolé et a fait place au doute. La fermeture des bars et des salles de spectacles annonce la fin des activités culturelles, mais pour certains, c’est toute leur vie qui se trouve chamboulée.
C’est le cas de Michelle, Philippe et Sarah. Ces trois noms ne vous disent peut-être absolument rien. Mais dans l’industrie culturelle, les trois sont bien connus. Michelle est l’une des propriétaires du Turbo Haüs, un bar qui produit des spectacles punk/métal/indie et qui est extrêmement vocale sur les réseaux sociaux. Philippe lui, est un des fondateurs de Mothland, une maison de disques qui fait aussi dans l’événementiel. Et finalement, il y a Sarah, la fondatrice de la maison de disques Hot Tramp, qui travaille aussi pour la salle de spectacles Le Scaphandre.
Les trois sont jeunes et surtout, ils ont l’ambition de mener notre culture plus loin. Ils ont des projets plein la tête. Ils innovent et font rayonner la culture québécoise ailleurs dans le monde. Mais après bientôt deux ans de pandémie, les trois vivent de multiples fermetures, et comme on le verra, l’incertitude s’installe sur la scène locale. Confrontés à la crise actuelle, ils ne se font pas d’idées ; le futur, c’est une journée à la fois pour l’instant.
«On n’aurait pas pu prévoir un nouveau variant…» me dit Philippe lors de notre appel.
C’est vrai. Personne n’aurait pu prévoir ça. Mais les trois sont d’accord ; après deux ans de pandémie, le gouvernement aurait pu se préparer au pire. Lors de notre échange, Michelle me mentionne que la situation a des airs de déjà-vu. En parlant avec d’autres propriétaires de salles par le biais de la SMAQ (Scènes de Musique Alternatives du Québec), elle parle de la perte de son inventaire, les annonces qu’elle a dû faire à son staff, et surtout le sentiment de ne pas savoir quand elle pourra rouvrir.
«On nous donne 270$ par semaine pour survivre. On n’est pas au courant si de nouvelles mesures pour le loyer commercial ou pour aider à payer une partie des salaires seront mises en place. On se sent de retour en mars 2020, malgré toutes les précautions qu’on a prises.»
Sarah est un peu plus calme, mais avoue être inquiète. Pour elle, c’est l’impact sur ses artistes qui ne pourront pas faire de tournées. C’est une partie de ses revenus qui s’envole en fumée puisque son emploi de booking pour le Scaphandre se trouve de nouveau interrompu. Bien qu’elle comprenne les mesures, elle ne peut pas voir à long terme. Alors que le rythme des spectacles reprenait, elle se retrouve à devoir tout annuler à nouveau. Philippe, qui était en pleine organisation du Taverne Tour, un festival de musique émergente et alternative, mentionne quant à lui que certaines salles en Ontario ont eu l’occasion d’obtenir des purificateurs d’air financés par le gouvernement.
«Ici, on laisse nos écoles dépérir, nos salles de spectacles doivent fermer… C’est frustrant. Oui, il faut être sécuritaire, mais il faut encadrer les endroits culturels pour qu’ils puissent opérer. Je ne comprends pas pourquoi on n’arrive pas à se donner les moyens de rester ouverts.»
Pour chacun d’eux, il y a une incompréhension. C’est la même incompréhension qui nous habite tous depuis trois semaines déjà: pourquoi laisse-t-on certains milieux ouverts? Pourquoi ferme-t-on les autres? Quelle est la différence entre un bar assis et un restaurant? Pourquoi les mesures d’aide tardent-elles à venir? 300$ par semaine c’est bien, mais ce n’est pas assez pour survivre.
Pour Michelle, Philippe et Sarah, qui sont tous vaccinés, qui ont suivi les directives de la santé publique depuis le début, et qui comprennent les enjeux de la vague courante, c’est une claque en pleine face. Michelle va plus loin et parle d’irrespect. Elle qui a ouvertement défendu le passeport vaccinal et le port du masque dans son établissement pour pouvoir offrir à tous un lieu sécuritaire où il fait bon vivre se sent abandonnée de nouveau. C’est un goût amer qui reste dans la bouche de tous. On dirait que le gouvernement nous dit que la culture, c’est le dernier de leurs soucis. La vie nocturne, ils ne la protégeront pas.
Il y a pourtant une belle résilience chez les trois. Alors que n’importe qui aurait lâché le morceau, ils sont prêts à rester. La culture ne va pas mourir, ils seront là pour la faire vivre quand tout sera fini. Et ils comptent sur nous pour faire partie de la solution. Ils comptent sur nous pour les aider, pour les écouter et pour les encourager.
Même si le début de 2022 s’annonce difficile, j’ai espoir que nous allons nous retrouver l’année prochaine. Nous allons nous retrouver autour d’une bière au Turbo Haüs, à un spectacle lors du Taverne Tour ou au lancement d’une des artistes de Hot Tramp. Car grâce à la fougue et à la détermination de Michelle, Philippe et Sarah, notre culture renaîtra et il serait bien que le gouvernement suive leurs pas.