Chroniques

Ode aux politiciens et aux politiciennes

Brisons quelques mythes et conceptions injustes.

Publié

(La Presse canadienne | Noovo Info)

Je nous trouve collectivement injustes envers les politiciens et les politiciennes et je crains que notre esprit critique ait sombré dans un mépris généralisé envers la classe politique.

Il est sain et même impératif de maintenir un esprit critique à l’égard de ceux qui nous gouvernent. Mais, trop souvent, cet esprit critique se transforme en cynisme, voire en mépris généralisé envers la classe politique, ce qui nuit à la qualité du débat public et à la vitalité de notre démocratie.

Brisons quelques mythes et conceptions injustes.

« Les promesses électorales sont des paroles en l’air »

Un des arguments injustes qu’on entend le plus souvent est celui voulant que les partis politiques promettent mer et monde pour se faire élire sans avoir l’intention de mettre en place leurs promesses. Une fois élu, le gouvernement renierait la plupart de ses promesses.

On peut penser, comme près de la moitié de l’électorat (selon les données de l’Étude électorale canadienne de 2021), que c’est le cas. C’est une opinion et ce n’est que cela: une opinion. Heureusement, il y a les faits, qui valent nettement mieux qu’une opinion!

Mes collègues politologues du Polimètre s’y attardent justement. Ce groupe quantifie le nombre de promesses faites lors des campagnes électorales et les compare avec le nombre de promesses tenues, partiellement tenues ou brisées.

Le constat des études sur les promesses est très clair: la plupart du temps, les gouvernements canadiens et québécois remplissent bel et bien une nette majorité de leurs promesses. Par exemple, le dernier gouvernement fédéral (2019-2025) a réalisé ou partiellement réalisé 76% de ses promesses. Certaines promesses brisées peuvent marquer les esprits (p. ex., le renoncement de Justin Trudeau de réformer le mode de scrutin, le 3e lien du côté de Québec, etc.). Mais il s’agit d’exceptions plus que d’une norme.

Autrement dit, les citoyens et les citoyennes qui prétendent que les promesses ne sont que des paroles en l’air font davantage preuve d’un cynisme exagéré qu’œuvre utile dans le débat public.

«Les politiciens et les politiciennes ne sont là que par intérêt personnel»

Un deuxième argument injuste pour critiquer certaines personnes qui s’engagent en politique consiste à dire qu’elles le font par intérêt personnel, que ce soit pour l’argent ou pour le pouvoir.

Ceci peut être vrai pour une poignée de personnes. Mais la vaste majorité des politiciens et politiciennes sont là pour les bonnes raisons: bonifier le débat public, et si élus, bien représenter la population.

Par exemple, 880 personnes se sont portées candidates aux élections québécoises de 2022 alors qu’il n’y a que 125 sièges à combler. La plupart d’entre elles savaient très bien qu’elles n’allaient pas se faire élire alors que seulement 14% de ces candidatures pouvaient obtenir un poste. Et pourtant... ces gens s’engagent politiquement et passent des centaines d’heures à faire vivre notre démocratie. Pensons aux candidatures caquistes et péquistes dans l’ouest de Montréal, à toutes les candidatures du Parti vert, etc. Ces personnes sont là pour les bonnes raisons.

Loin de s’enrichir, beaucoup de personnes élues gagneraient davantage dans le secteur privé. Leur engagement politique n’est ni motivé par l’argent ni par le désir d’une vie facile: la fonction est exigeante et souvent ingrate. Elle exige d’être à des heures de distance de son coin de pays pour de très longues périodes (ce qui est loin d’être agréable pour la vie de couple et/ou la conciliation travail-famille) et est souvent accompagnée, gracieuseté des médias sociaux, de harcèlement et de haine en continu (qui sont d’autant plus intenses pour les femmes).Comme le souligne le psychologue Ashley Weinberg dans un ouvrage fondamental, le métier de politicien est un véritable «risque pour la santé mentale». Certaines études ont démontré que la santé mentale des politiciens et les politiciennes était davantage mise à mal comparativement au reste de la population. De plus, la moitié des élus ne parlerait pas d'enjeux de santé mentale à leurs collègues. Cette situation n'est pas étrangère au fait que la population appuie moins les politiciens et politiciennes souffrant de dépression ou d’épuisement professionnel.

Ce n’est pas impossible qu’une personne décide d’accepter ces conditions simplement pour le salaire, mais il semble plus que raisonnable de supposer que ce n’est pas le cas.

Soyons critiques sans être méprisants

Le cynisme ambiant, alimenté par une couverture médiatique trop souvent négative, est peu productif pour notre démocratie. Il est temps de réhabiliter la politique et ceux et celles qui la font vivre. Restons critiques, mais soyons justes dans nos critiques. La démocratie mérite mieux que l’amertume et le mépris: elle a besoin d’un engagement critique, lucide et respectueux

Jean-François Daoust

Jean-François Daoust

Opens in new window

Professeur de science politique