Chroniques

L’intimidation: un vrai problème dans nos écoles

Certains parents décident de garder leurs enfants à la maison pour éviter l’intimidation.

Mis à jour

Publié

(Banque d'images Envato)

Certains parents décident de garder leurs enfants à la maison pour éviter l’intimidation à laquelle ils font face à l’école. Ils se sentent abandonnés par le système scolaire.

Coincés entre un prof débordé, une direction d’école qui veut «bien paraître», des spécialistes ensevelis et un centre de services scolaire qui tarde à répondre ou à passer aux actes, des parents choisissent de prendre le contrôle de la situation en utilisant le seul moyen à leur disposition : retirer leur enfant.

J’ai reçu des dizaines de témoignages crève-cœur de parents, de profs, de techniciennes en éducation spécialisée, de psychoéducatrices, de membres du personnel du service de garde et même, de membres de directions d’écoles primaires et secondaires.

Beaucoup de démarches

De leurs confidences, je tire quelques constats. Ce sont des propos et des réflexions qui reviennent, d’un témoignage à l’autre, peu importe la région du Québec, la taille et le type d’écoles.

Par exemple, il semble que lorsque le protecteur régional de l’élève est contacté (encore faut-il trouver comment le joindre, dans le dédale du site web du centre de services scolaire de son territoire), les choses avancent plus vite. «Si le mot “intimidation” apparaît dans une plainte officielle faite auprès du protecteur national, on a une réponse en dedans de quarante-huit heures, me raconte une mère qui travaille aussi à titre de spécialiste dans une école primaire de la grande région de Montréal. Mais ce n’est pas parce qu’on a une réponse que les choses avancent par la suite…»

Avant d’en arriver à porter plainte au protecteur national, il faut que les démarches préalables aient échoué : d’abord il faut porter plainte écrite à la personne concernée (elle doit répondre dans un délai de dix jours) et ensuite, il faut porter plainte au centre de services scolaire (quelqu’un doit répondre dans un délai de quinze jours). Toujours insatisfait (ou sans réponse) : il faut en troisième étape écrire au protecteur régional de l’élève (et il doit répondre dans un délai de vingt jours).

Des conséquences

Mis bout à bout, ça peut prendre jusqu’à un mois et demi avant d’être fixé.

Eva n’a pas attendu jusque-là. Elle a changé sa fille d’école.

Pierre n’a pas attendu jusque-là. Il a dit à son fils de « se défendre ». Son fils a reçu une conséquence — mais pas son intimidateur.

Geneviève n’a pas attendu non plus. Elle a déposé une plainte à la police, « plus rapide et efficace », me dit-elle. Elle garde son garçon de 12 ans à la maison pour le moment.

Annie-Ève a attendu une réponse. Son adolescente de 14 ans, intimidée par un trio de filles, a fait une tentative de suicide.

Et j’en passe.

Un plan? Quel plan?

Les membres du personnel scolaire en ont aussi long à dire sur le sujet. Certains racontent que leur école affiche publiquement un beau plan de lutte à l’intimidation et à la violence… mais que ce plan prend la poussière. Personne ne s’occupe concrètement des mesures pourtant écrites noir sur blanc.

«On devait avoir une boîte à messages pour que les enfants déposent leurs mots de façon anonyme, s’ils étaient victimes de quelque chose ou s’ils étaient témoins de quelque chose… mais la boîte n’a jamais été installée », dit une enseignante montréalaise qui compte plus de vingt ans d’expérience.»

Elle précise que cette mesure avait été annoncée en grande pompe aux parents, à la rentrée scolaire.

Des nouvelles directions dépassées par les événements, des sièges de spécialistes vacants, une organisation défaillante, des enseignants épuisés qui tentent actuellement de rattraper le retard causé par les cinq semaines de grève (plusieurs m’ont confié que c’est en ce moment, en fin d’année, que ces jours de classe manqués paraissent le plus — et qu’ils seront difficilement rattrapables), des parents désengagés et désinvestis, une montée de la violence chez les jeunes : toutes ces raisons sont évoquées, à maintes reprises, par mes interlocuteurs.

Des situations complexes

Un autre angle mort : les parents nouveaux arrivants, occupés à travailler du matin au soir, à apprendre le français, à trouver un logement et une garderie pour le plus jeune, bref occupés à survivre, n’ont pas toujours le temps de veiller au bien-être de leur aîné, à l’école.

« Ils ont d’autres préoccupations, ils n’ont pas le temps, dit une psychoéducatrice de la région de Laval. Je fais face à des parents qui ne prennent pas les cas d’intimidation au sérieux, qui pensent que c’est une chicane d’amis, sans conséquence, que ça va se régler tout seul… »

Une technicienne en éducation spécialisée de Montréal me raconte qu’elle a trop de dossiers d’élèves avec des problématiques complexes : elle aimerait faire des suivis individuels, elle n’a pas le temps. « Quand je demande du temps supplémentaire pour travailler après 15 h sur un dossier, la direction refuse », souligne-t-elle.

Une enseignante au primaire de grande expérience parle de la fin de la surveillance dans la cour d’école. «Ce sont des parents bénévoles ou des éducatrices du service de garde, pas toujours qualifiés, qui assurent la surveillance aux récréations et sur l’heure du dîner. Ils jasent plus entre eux qu’autre chose…»

La racine du problème

Une mère me raconte son parcours long et pénible pour que l’intimidation envers sa fille de 10 ans cesse : le cas était suivi par une travailleuse sociale qui a vu ses heures de travail coupées de 40 heures à 37, puis à 35, puis à 30, pour finir à 27,5 heures… « C’est tombé dans une craque », dit-elle. Elle attend des nouvelles de la direction contactée il y a… trois semaines.

Un adjoint à la direction me confie qu’il aimerait qu’on éduque et qu’on intervienne davantage auprès des élèves intimidateurs : ils sont punis, mais exclus de la suite des interventions. Il y a peu de prévention et peu de suivi.

«Pourquoi il intimide? Est-ce qu’on le sait, ça?», lance-t-il.

Bonne question.