Chers souverainistes du Québec, je serai brève, je vous le promets.
Je vous écoute depuis plusieurs semaines. Face à la menace d’un nouveau référendum sur l’indépendance du Québec. Vous faites vos calculs et vos pronostics pour les élections québécoises de 2026. Mais il y a un facteur clé que vous n’avez pas pris en considération dans toutes vos analyses: les enfants de la loi 101.
J’appartiens à une génération d’enfants issus de l’immigration qui est en train de perturber durablement le débat linguistique au Québec, bien au-delà des axes «gauche/droite».
Nous ne faisons pas partie de votre équation, parce qu’aux yeux de plusieurs d’entre vous, nous ne sommes qu’une bande de jeunes racisés en difficulté qu’il faudrait sauver. Pourtant, nous sommes des sujets pensants capables de produire du vrai savoir de façon autonome.
Même si vous ne nous voyez pas, nous sommes bel et bien là.
Je ne suis pas souverainiste et je ne l’ai jamais été. Je sais que ma position comme femme noire va rester celle d’une subalterne que le Québec devienne souverain ou non.
Toutefois, vous serez étonnés de réaliser que nous sommes plusieurs à maîtriser cette langue coloniale française beaucoup plus que des Québécois dits «de souche». En outre, certains d’entre nous connaissent si bien le récit national québécois que nous sommes maintenant en posture de le réinterpréter.
Vous nous accuserez de «réécrire l’histoire», de dire « n’importe quoi » et de « cracher sur les Québécois ». Or, nous connaissons ce récit officiel parce que nous avons été scolarisés au Québec, dans vos écoles, selon vos lois et en français.
Cette histoire du Québec, vous nous l’avez enfoncée dans la gorge. Cette cassette, nous en avons été gavés. Année après année.
Le Haut et le Bas-Canada. Rébellion des patriotes. Manifeste du Refus global. La Grande Noirceur. La Révolution tranquille. La crise d’Octobre et j’en passe.
Nous sommes plusieurs à savoir que ce récit est tronqué, parce qu’il occulte celui d’autres populations — notamment Noires et autochtones — qui évoluent sur ce territoire depuis des générations.
Tous les jours depuis notre naissance, vous nous dites que vous êtes la seule province majoritairement francophone en Amérique du Nord. Vous nous répétez que votre culture est menacée par nous, nos parents immigrants et les anglophones. Beaucoup d’entre nous ne parlons même pas les langues maternelles de nos parents, mais ça, vous vous en foutez complètement. Vous n’arrêtez pas de dire que nous ne parlons pas français et que nous ne sommes pas assez intégrés à votre société.
Vous ne nous donnez aucune voix au chapitre de l’histoire de la société dans laquelle nous sommes pourtant nés. Nous ne sommes pas des Québécois à vos yeux, parce que nous ne sommes pas des Québécois blancs. Cela étant dit, vous allez êtes déstabilisés de réaliser que vous avez obtenu ce que vous vouliez de nous.
Nous sommes plus intégrés que vous le pensez.
J’appartiens à une génération qui s’apprête à retourner cette même langue française contre une élite politique qui veut diviser pour mieux régner.
Vous êtes en train de vous faire avoir à votre propre jeu dont nous connaissons les règles par cœur.
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