Chroniques

Les fantômes de nous-mêmes

Lettre ouverte d’une femme trans en réaction à l’élection de Donald Trump.

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(AP Photo/Matt Freed)

Réveil brutal dans une dystopie. Nous sommes des centaines sur mon fil d’actualité à penser que l’élection de Donald Trump est un mauvais rêve, plusieurs à ne pas avoir dormis de la nuit.

Nous savons les positions transphobes et 2SLGBTQphobes de Donald Trump. Dans certains États, nous sommes illégales, des parias, nous ne sommes pas des êtres humains. Sur le site translegislation.com qui recense les lois transphobes aux États-Unis, on répertorie, au moment d’écrire cette lettre, 662 projets de loi anti-trans et 45 lois adoptées cette année (inutile de dire que ces chiffres sous l’administration Trump augmenteront). Ces projets de loi visent à empêcher les personnes trans de bénéficier de soins de santé de base, d’éducation, de reconnaissance juridique et du droit d’exister publiquement.

De 2016 à 2023, les crimes haineux motivés par l’orientation sexuelle signalés par la police ont augmenté de 388 % au Canada. Je ne vous cacherai pas que j’ai peur. J’écris cette lettre en espérant qu’une moi future me dise que je m’en faisais pour rien. Mais les faits sont là et nous nous devons d’être vigilants en tant que société, ici même au Québec avec la montée de la droite et la profusion de discours haineux envers les communautés 2SLGBTQ+, que ce soit dans les médias ou dans les livres que des gens publient pour nous invalider.

Il est important de rappeler que Donald Trump a été reconnu coupable de 34 chefs d’accusation en mai dernier. Ça en dit énormément sur les gens qui l’ont élu.

«Je ne cacherai pas la tentation que j’ai eue de recommencer à boire de l’alcool.»

Partout, sur mes réseaux, la détresse, la paralysie, l’étonnement, la colère, la rage, la tristesse, une effusion d’incompréhension. Je ne peux m’empêcher de penser à mes sœurs, frères et adelphes trans et non binaires aux États-Unis qui aujourd’hui ne voient que de la noirceur dans leur avenir. Ce climat de peur et d’incertitude pèse lourd. Les discours haineux qui fusent de plus en plus sur les réseaux et autour de nous effritent notre estime personnelle déjà fragile, notre valeur est constamment diminuée par ces gens qui nous détestent et qui refusent de nous voir nous épanouir. Si nous ne passions pas notre temps à nous battre pour notre dignité, nous pourrions accomplir tant de choses précieuses pour la société.

Ne pas le laisser gagner

Avec la nouvelle de l’élection de Trump ce matin, je ne cacherai pas la tentation que j’ai eue de recommencer à boire de l’alcool. Mais ça fera bientôt trois ans que je suis sobre, et je ne laisserai pas ce monstre gagner sur tous les fronts et me priver de l’amour que j’ai pour ma personne et qui a pris toute une vie à construire.

Un proverbe turc dit: «Si un clown emménage dans un palais, il ne devient pas roi, le palais devient un cirque». C’est cette impression surréaliste qui me vient en ce moment.

Impossible de me concentrer sur ce que j’ai à faire aujourd’hui. Je me raccroche à l’élection de Sarah McBride (première femme ouvertement trans élue à la Chambre des représentants) et ne peux que lui souhaiter du courage parce que je me doute qu’elle devra faire face à de la transphobie sur une base régulière. Ce qui se passe aujourd’hui signifie qu’il faut continuer (et ce, plus que jamais) la lutte contre la transphobie et toute autre 2SLGBTQphobie. Ce qui se passe chez nos voisins, ça nous concerne aussi.

Nous devrons faire preuve d’une immense solidarité, de vigilance et d’empathie dans les prochaines années. Nous devrons continuer nos luttes.

On tente de nous diviser, de nous pousser à avoir peur de l’Autre. Multiplions les actes de bonté.

Il faudra continuer de rappeler que l’identité de genre n’est pas une idéologie, que je ne suis pas un concept – pas plus que mes semblables –, qu’enseigner la différence et l’unicité de chacun à nos jeunes, ce n’est pas de l’endoctrinement, mais simplement une façon d’assurer un mieux vivre-ensemble. J’ai passé ma vie entourée de personnes cisgenres et pourtant je suis une femme trans. Je ne suis pas contagieuse.

«Je n’étais pas un garçon avant de faire ma transition, j’étais une tristesse infinie.»

Si une chose me rassure, c’est que même si depuis toujours les personnes trans sont la cible de haine et d’ostracisation, nous possédons la résilience, ce que beaucoup de nos détracteurs ne possèdent pas. N’oublions pas les ressources d’aide pour les communautés 2SLGBTQ+ telles qu’Interligne et Aide aux trans du Québec, si nous éprouvons de la détresse en ce moment.

Je ne pense qu’à une chose: c’est que nous ne redeviendrons pas les fantômes de nous-mêmes.

Nous ne réintègrerons pas les placards.

Je refuse de croire que le cancer du cynisme gagnera nos cœurs.

Je refuse de croire que l’amour est mort. 

Gabrielle Boulianne-Tremblay

Gabrielle Boulianne-Tremblay

Autrice