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«Sans culture, une société se meurt.»
Le moins que l’on puisse dire, c’est que les temps sont durs pour les artistes québécois.
Du côté littéraire, l’hécatombe est proche. Relations, l’une des doyennes des revues culturelles vient tout juste de mettre la clé sous la porte après près de 85 ans d’existence. À Bâbord !, une revue progressiste emblématique des vingt dernières années, s’est tournée vers le sociofinancement après avoir perdu une subvention majeure. Plus récemment, la Société de développement des périodiques culturels québécois (SODEP) a sonné l’alarme. Ses revues membres sont en état de choc devant leurs colonnes de budget, comme l’expliquait sa directrice générale, Hélène Hotton, en septembre dernier au Devoir. Bref, le milieu est au bord du gouffre.
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La situation n’est guère reluisante pour les autres domaines artistiques — théâtre, musique, danse et l’art contemporain — pour ne nommer que ceux-là. C’est dans ce contexte que 21 organismes, dont l’Union des artistes du Québec, le Conseil québécois du théâtre et l’Union des écrivains du Québec, ont uni leurs forces pour réclamer mieux du gouvernement Legault. Le Front commun pour les arts exige 200 millions de dollars dès la prochaine année, notamment pour mieux soutenir la mission du Conseil des arts et des lettres du Québec (CALQ). Le Front commun espère parvenir à améliorer les conditions de travail des artistes qui dépérissent comme peau de chagrin d’année en année.
Être payé en visibilité ne met pas du pain sur la table ni de la nourriture dans le frigo. La vaste majorité des artistes québécois sont très loin de rouler sur l’or, contrairement aux croyances populaires. Par exemple, au Québec, les auteurs reçoivent 10 % de redevances sur le prix de vente d’un livre, le 90 % restant est réparti entre les autres acteurs de la chaîne du livre (éditeur, distributeur et libraire). Écrire un livre prend souvent plusieurs années. Selon un sondage de 2018 mené par l’Union des écrivains et écrivaines du Québec, le revenu littéraire médian des écrivains était de 3000 $. Rares sont les écrivains qui parviennent à obtenir une subvention artistique auprès du CALQ ou du Conseil des arts du Canada (CAC) pour leurs projets littéraires. Qui plus est, même les auteurs qui vendent des best-sellers ne peuvent généralement pas vivre de leur plume.
On ne fait pas de l’art pour obtenir du capital ou du profit. On le fait par nécessité de nommer les dérives de notre époque et par amour de la création. Les artistes ont ce besoin viscéral d’exprimer quelque chose du fond de leurs tripes en espérant toucher le cœur d’autrui. Le succès d’une poignée d’entre nous repose souvent sur des facteurs extérieurs, de conjonctures qui nous dépassent et n’ayant pas toujours de corrélation avec le talent de tout un chacun.
Pour le meilleur et pour le pire, la France est une société qui valorise davantage les artistes, les débats intellectuels et les écrivains, contrairement au Québec. Même si cela trahit une forme d’élitisme et qu’il existe des dérapages, je crois qu’on devrait s’en inspirer.
Par exemple, en matière télévisuelle, on peut certainement aimer — j’en suis —, le divertissement, les sujets légers et les télé-réalités. En cette ère sombre où les nouvelles ne sont guère réjouissantes, nous avons tous besoin de nous changer les idées. Or, prendre les Québécoises et les Québécois pour des abrutis en sous-entendant qu’ils ne veulent jamais réfléchir à des enjeux de fond est une insulte à notre intelligence collective. Pourtant, ce n’est ni le talent ni le potentiel qui manque à l’appel. Plutôt, c’est l’audace de prendre des risques et de sortir des carcans usuels qui est souvent absente.
La crainte d’aborder des sujets difficiles, complexes ou tabous par crainte de scandales ou de rendre le public inconfortable finit par nous desservir tous. C’est aussi ce nivellement vers le bas qui accélère la chute des cotes d’écoute à la télévision québécoise. Ce n’est pas pour rien que nombre d’animateurs et animatrices d’expérience se tournent vers les balados, là où la sobriété d’un décor et des questions simples peuvent être farouchement efficaces pour avoir des conversations d’une très grande profondeur.
On peut être étonné de ce que l’on peut apprendre sur des personnalités publiques lorsqu’elles ont plusieurs heures pour s’exprimer. Le type de conversations intéressantes où les invités en oublient qu’ils sont enregistrés. Plus que jamais, beaucoup d’entre nous ont soif de faire sens.
Les intellectuels, tout comme les artistes, cherchent des réponses à des questions de l’heure. Ils ébranlent les certitudes et innovent pour le bien commun. À l’heure de la montée des discours d’extrême droite un peu partout en Occident et d’un discours déplorable sur l’immigration qui n’a rien à envier à celui de nos voisins du Sud, le travail des artistes est plus crucial que jamais.
Sans culture, une société se meurt. Sans artistes, un peuple ne peut avoir ni vision ni direction. Avoir accès à de l’art ne devrait pas être un luxe ni un privilège. C’est la colonne vertébrale identitaire des nations.
Il est fort curieux qu’une société qui dit tant vouloir protéger sa culture distincte laisse autant ses artistes, ses intellectuels et son public sur leur faim. Donnons à ses faiseurs et faiseuses de sens les moyens de produire ce qu’ils savent faire de mieux.
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