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«J’ai été quelque peu surpris de l’engagement du ministre Christian Dubé à propos de la création d’une «nouvelle structure de gouvernance en santé», qu’on appellerait «Santé Québec» et qui serait opérationnelle dès l’été 2023.» - Dr Alain Vadeboncoeur
J’ai été quelque peu surpris de l’engagement du ministre Christian Dubé à propos de la création d’une «nouvelle structure de gouvernance en santé», qu’on appellerait «Santé Québec» et qui serait opérationnelle dès l’été 2023. Si le gouvernement est réélu, ça va de soi.
Il faut comprendre qu’il ne s’agit pas d’une autre réforme du réseau lui-même, c’est-à-dire des établissements de santé. Un changement à ce niveau aurait été malvenu dans des établissements actuellement en difficulté.
En fait, le changement qui se passerait « au-dessus » des établissements, soit dans la structure du gouvernement, mais qui est de grande ampleur.
En clair, il est proposé de retirer le ministère de la Santé des opérations courantes du réseau, qui occupe encore beaucoup de ses énergies, pour qu’il puisse se concentrer sur les grandes orientations. En soi, une réforme substantielle au ministère, d’impact limité sur le terrain — souhaite-t-on.
Les « opérations », soit la réalisation et la coordination de ces orientations, seraient confiées à une nouvelle instance relevant directement du ministre de la Santé (et non du sous-ministre), un peu comme la Régie de l’assurance-maladie du Québec (RAMQ) ou Héma-Québec, en parallèle de la structure du ministère.
Tous les établissements du réseau se rapporteraient à de cette nouvelle structure, formée d’un PDG et de six vice-présidents, comme on le présente dans l’image diffusée par la CAQ sur le site de sa plate-forme électorale.
La nouvelle image projetée du réseau. Source : CAQ.
Le ministre parle de simplification des structures, ce qui est possible, et bien évidemment, on a travaillé le visuel pour mettre l’accent là-dessus, par rapport à l’image apparemment éléphantesque du ministère souvent diffusée, certaines sections semblant avoir été omises dans le nouvel organigramme, pour faire « plus simple ».
L’image actuelle du ministère de la Santé et des Services sociaux. Source : CAQ.
Certains ont fait un peu vite le parallèle entre cette proposition et une autre qui remontait à ma connaissance à une suggestion de l’ancien président du Collège des médecins Yves Lamontagne de créer une « Hydro-Santé », indépendante du politique, une idée rejetée à l’époque par le ministre Yves Bolduc.
La (grande) différence, c’est qu’Hydro-Québec est une société d’État, de facto à distance du gouvernement, tandis qu’un « Santé-Québec » relèverait directement du ministre. Mais il est vrai que l’on détache le ministère des opérations et qu’on éloigne le ministre du terrain, en soi un sujet d’étonnement.
C’est que pour avoir suivi de près ou de loin les actions de la plupart des ministres de la Santé depuis la fin des années 1990, je sais pertinemment qu’ils ont toujours surveillé de près les activités « sur le terrain », appelant régulièrement les dirigeants d’hôpitaux pour signaler qu’un patient séjournait un peu trop longtemps à l’urgence, pour ne donner que cet exemple.
Visiblement, si on se fie au fonctionnement de la RAMQ, le ministre ne peut dicter directement sa volonté à l’organisme qui possède une certaine indépendance, même s’il relève du ministre. Il est probable que le ministre ne pourrait intervenir dans le détail des opérations s’il respecte le mandat éventuel de Santé-Québec.
Et comme les enjeux de services en santé sont très sensibles — et occupent quotidiennement les grands titres des médias — on peut être surpris, je l’ai été, qu’un ministre décide de laisser aller un peu de sa mainmise, d’autant plus qu’il est probable qu’il continuera d’en répondre en chambre et publiquement.
Détail amusant, je pensais parler un peu du concept « Hydro-Santé » dans mon nouveau livre, Prendre soin, que j’ai finalement retiré ces points, incertain de l’intérêt de la proposition et croyant qu’un gouvernement ne voudrait pas abandonner une partie de son contrôle sur le réseau. Avec la proposition actuelle, on se trouve à mi-chemin de ce concept.
Une telle réorganisation — qui ne manquerait pas de créer quelques remous au ministère — peut comporter certains avantages. J’en vois plusieurs.
D’abord, cela confère une certaine permanence aux actions entreprises, ceux et celles qui sont chargés de les réaliser étant un peu plus éloignés de l’univers politique et des impératifs inspirés des échéanciers électoraux.
Cela donne aussi une place particulière à la livraison et la coordination des soins et des services, qui font partie des opérations.
Je l’ai souvent mentionné, il existe au Québec plusieurs réussites de coordination des soins, la plus récente étant le COOLSI, qui vise à organiser l’accès aux lits de soins intensifs partout au Québec et a pris en charge durant la pandémie la répartition des patients atteints de la COVID. C’est une réussite, en bonne partie en raison des gens qui l’animent et de la clarté du mandat.
Au fait, dans le réseau, j’ai toujours constaté l’existence de deux types de personnes : celles qui sont à l’aise pour réfléchir sur les orientations à plus long terme, et d’autres qui sont plus agiles dans les opérations. Durant la pandémie, inutile de dire que les seconds ont pris plus de place et que les tensions entre la planification et la réalisation ont été fréquentes.
Tant mieux quant à moi si on regroupe dans une instance vouée aux « opérations » (aux services, à la coordination, à la livraison sur le terrain) les bonnes personnes plutôt que de tenter de gérer les opérations de manière un peu diffuse à travers une foule de directions qui ont d’autres priorités.
Un PDG se retrouverait à la tête de Santé-Québec, et des mandats attribués auparavant à plusieurs « directeurs » seraient répartis entre des « vice-présidents », un vocabulaire qu’on retrouve fréquemment en dehors du Québec dans la gestion des soins de santé, mais aussi à la RAMQ ou Héma-Québec.
Le ministre évoque aussi une décentralisation des décisions avec sa nouvelle structure, mais je pense que tout dépend de la manière dont on organisera les choses. Pour mémoire, le ministre Gaétan Barrette parlait également de décentralisation avec sa réforme (alors qu’on lui reprochait souvent de centraliser).
L’approche proposée n’est pas exempte de risques : parfois, en voulant simplifier, on complexifie les choses. Bien qu’il ne s’agisse pas, heureusement, d’une réforme « terrain », il demeure qu’au ministère, c’est un gros changement, notamment dans les liens hiérarchiques entre tous les dirigeants d’établissements et le ministère lui-même.
Un risque évident, c’est que les mandats ne soient pas assez clairs pour permettre un fonctionnement harmonieux entre le « ministère » et « Santé-Québec », créant de la confusion, des tensions et même des luttes de pouvoir néfastes. À cet égard, il est difficile d’anticiper, on devra suivre le tout de près.
C’est le lot des nouvelles structures : même si on veut faire plus simple, ça peut devenir encore plus compliqué, surtout si le ministère n’abandonne pas sa volonté de contrôler ce qui se passe sur le terrain… où sont les électeurs, il faut se rappeler. Ça implique que les orientations soient claires… et que ce soient de bonnes !
Le ministre, qui continuera d’être interpellé régulièrement sur des problèmes très concrets, comme l’attente à l’urgence, les délais des chirurgies, les difficultés d’accès à un médecin de famille, les erreurs cliniques ayant des conséquences, tous des sujets chargés du point de vue politique, pourra-t-il vraiment résister à la tentation de garder la mainmise sur les opérations, alors qu’il en sera imputable ? Cela reste à voir.
Comme ces idées ou d’autres similaires sont dans l’air depuis longtemps, et comme la CAQ formera probablement le prochain gouvernement, j’ai l’impression que les changements auront lieu, de sorte qu’en 2023, on pourra juger des effets.
En espérant qu’on en tirera quelque chose de positif, qui aille dans le sens des réformes que souhaite entreprendre le ministre Christian Dubé.