Chroniques

J’ai quitté ma maison

Bon déménagement!

Publié

(Montage Noovo Info et Envato)

Vingt-deux ans après l’avoir achetée, j’ai quitté ma maison. Cette maison qui a vu naître mes enfants, cette maison où j’aurais pu déambuler les yeux bandés tellement j’en connaissais tous les recoins, cette maison que j’ai tant aimée, où j’ai tout aimé.

Toutes ces nuits à les bercer. À observer le quartier endormi pendant que je veillais. J’avais parfois l’impression d’être la gardienne de la rue, le faible éclairage doré du salon devenant le seul phare du secteur.

Tous ces repas partagés en famille, entre amis, avec les voisins. Matin, midi, soir, des gens sont venus chez moi, invités ou à l’improviste, je préférais ces derniers, sorte de surprise, d’imprévu, dans une routine trop souvent huilée au quart de tour.

J’ai aimé qu’elle se désorganise, qu’elle se salisse, qu’elle déborde, qu’elle vive.

J’ai toujours aimé la repolir ensuite. Rangée ou pas, j’ai toujours aimé l’aménager, la changer, la rénover, la nettoyer, la bichonner.

Toutes ces fêtes, ces cadeaux déballés près du sapin, toutes ces confidences échangées, autour de l’îlot de cuisine, près du foyer ou sur la terrasse, toutes ces activités, toutes ces allées et venues, les arrivées en particulier, j’ai tout aimé de cette maison.

Quand j’y revenais, quand j’y entrais, en coup de vent, en lambeaux ou en conquérante, j’y retrouvais toujours cette lumière et cette odeur si spécifique. Les maisons ont des odeurs et la mienne sentait toujours bon. Elle sentait ma famille, une chandelle à la vanille, des crêpes sorties du four, un mijoté d’automne, elle sentait chez nous.

Elle avait le parfum du réconfort.

Brouillard

Après vingt-deux ans, il a été temps de lui dire adieu. Et bien que réfléchi, planifié et préparé, cet adieu a été un déchirement sans nom, un déchirement que je n’avais pas vu venir, violent, brutal, douloureux.

Le déséquilibre a été immense pour moi et en moi : j’en ai perdu pied. J’ai fait des boîtes puis défait des boîtes à mon nouveau domicile dans une sorte d’anéantissement, d’engourdissement, d’égarement.

Je me suis réveillée la nuit en ne reconnaissant pas les murs ni les sons. J’avais perdu l’odeur, la lumière, j’avais perdu mes repères.

Quitter ma maison a été un deuil, un vrai, avec toutes les phases classiques de la perte : choc, déni, désorganisation, colère, protestation, dépression, acceptation. Pêle-mêle et à toutes sortes d’intensité. Dans une sorte de tourbillon d’euphorie, de fébrilité, de nostalgie et de tristesse, toutes liées à la même source : le changement.

Empreintes

J’ai remis les clés en poussant un soupir de soulagement et en grognant en même temps. J’ai souri et j’ai fait la baboune. Personne n’a su trouver le bon ton pour me parler de mon déménagement, tout le monde connaissait mon attachement à cette maison simple mais généreuse.

Généreuse, oui. C’est quand j’ai reconnu toute sa générosité, tout ce qu’elle m’avait donnée et permise, que j’ai gagné en sérénité et en joie. Les souvenirs devenaient des perles que j’accrochais à mon cou, parée et prête pour une nouvelle aventure.

J’ai plusieurs fois pensé à ceux qui viennent d’ailleurs et vivent un déracinement profond, de ville, de pays, de culture, de langue. Le vertige n’est pas comparable à ce que j’ai vécu; ce n’est pas qu’un changement de maison, c’est un changement de vie.

Nouveau chapitre

Trois mois plus tard, je mesure ma chance, cette chance d’avoir des souvenirs vifs et joyeux, et celle d’avoir un nouveau toit pour en créer de nouveaux.

Nouvelle maison, nouveau quartier, nouveau voisinage, nouvelle lumière. Petit à petit, un nouveau nid se forme et avec lui, la construction d’une nouvelle voie pavée d’occasions, d’espoir et de renouveau.

J’ai écrit récemment au nouveau propriétaire pour le saluer une dernière fois. Je voulais lui dire qu’il possédait une maison chanceuse, une maison heureuse. Et qu’il allait l’être à son tour, forcément.

Bon déménagement!