Début du contenu principal.
«En cette rentrée des classes, je me dis souvent que l’on aurait tout à gagner à valoriser l’empathie.»
Il y a quelque temps, je marchais dans un centre commercial. En voulant tourner dans un corridor, j’ai tout de suite senti que quelque chose était en train de se passer.
La scène n’était pas complètement perceptible d’où j’étais. Cependant, je voyais des gens figés en train d’observer quelque chose. Avec hésitation, j’ai continué à marcher, puis j’ai entendu du bruit. Une femme apeurée s’est jetée dans mes bras. Quelques secondes plus tard, une autre femme, frêle, plus petite que moi et visiblement en situation d’itinérance, est passée devant nous en un coup de vent. À ses trousses, plusieurs agents de sécurité qui couraient comme s’ils essayaient d’attraper un colosse de six pieds, armé jusqu’aux dents. Dans la foule, plusieurs passants avec un air jouissif pointaient la fugitive du doigt pour indiquer où elle se trouvait. Puis, tout est redevenu « à la normale ». Chacun a poursuivi son chemin. Moi, je suis restée un peu déroutée par ce que je venais de voir.
En cette rentrée des classes, je me dis souvent que l’on aurait tout à gagner à valoriser l’empathie, à en faire un principe cardinal qui traverse toutes les matières enseignées sur les bancs d’école, du français aux mathématiques. Sans vouloir en faire une panacée — il faut se méfier de tout ce qui est idéalisé —, c’est une posture qu’a adoptée le Danemark pour les enfants âgés de 6 et 16 ans depuis le début des années 1990.
Plusieurs mois auparavant, j’étais en train de me maquiller dans les toilettes d’un centre commercial. Dans l’une des cabines, une femme, visiblement intoxiquée, semblait faire un malaise. J’ai regardé la femme à ma droite qui se maquillait aussi et j’ai suggéré, timidement, d’appeler la sécurité pour venir en aide à cette femme qui était maintenant en train de gémir au sol.
Les agents ont semblé bienveillants et sont repartis avec elle. Puis, la femme qui était à ma droite m’a regardé en disant « est-ce que c’est un comportement normal, ça ?! » en parlant de la personne que nous venions d’essayer d’aider.
Encore une fois, j’étais déroutée. La travailleuse sociale en moi a pensé faire un cours 101 de sociologie sur l’itinérance, mais je sentais bien que le moment n’était pas propice. Je n’ai rien trouvé de mieux à dire que « peut-être qu’elle avait une mauvaise journée », tout en sachant pertinemment que ma réponse n’allait avoir aucun impact sur le jugement défavorable et arrêté de mon interlocutrice.
Un autre jour, j’étais au restaurant avec des amies d’enfance. Lorsque nous en sommes sorties, un homme nous a abordés parce qu’il avait faim. J’hésitais et je voyais que mes amies hésitaient aussi, mais finalement, j’ai décidé d’entrer dans le restaurant avec lui pour lui acheter un repas. Lorsque nous sommes entrés, le propriétaire du restaurant était mécontent. Il a demandé à l’homme « de ne pas abuser » parce que les gens comme moi « travaillent fort pour leur argent ». Encore une fois, j’ai pensé dire quelque chose… mais je n’ai rien dit. Je me suis contentée d’acheter le repas et de repartir avec mes amies qui m’attendaient dehors.
Je ne fais pas ça pour me jeter des fleurs. Je ne fais pas ça tous les jours, évidemment. La charité n’a jamais changé le monde. Ça prend surtout des mesures structurantes pour prévenir des problèmes sociaux à la racine. La chance et les concours de circonstances, et non strictement le mérite, y sont pour beaucoup dans des histoires de réussite — incluant les nôtres.
La semaine dernière, comme beaucoup de Québécois, j’ai été réveillée par une alerte AMBER. Plusieurs se sont plaints sur le web d’avoir été dérangés dans leur sommeil. Puis, on a appris que l’enfant disparu avait été retrouvé « sain et sauf ». Pour plusieurs, recevoir cette information « clôt » l’histoire. Or, qu’est-ce qui a mené à l’enlèvement de cet enfant ? Qu’est-ce qu’il arrivera ensuite dans sa vie ? On ne le saura jamais pour des raisons évidentes. Mais, « retrouvé sain et sauf », en êtes-vous vraiment sûr ?
Je ne suis pas certaine que l’empathie soit quelque chose qui s’enseigne. Plutôt, je crois que ça s’incarne et ça se vit. C’est l’empathie et la compréhension d’autres personnes à mon égard, même lorsque je faisais une gaffe, qui m’a tout appris.
C’est tout aussi vrai lorsque ce n’était pas le cas. Je sais ce que c’est que d’être pointée du doigt, jugée avant même que l’on ait essayé de me comprendre. Évidemment, je n’essaye pas de mettre des choses en équivalence qui n’en ont pas. Toutefois, ça m’a marquée suffisamment pour que je sache qu’il y a toujours un contexte à toute situation, qu’on ne sait jamais ce que les gens vivent derrière des portes closes, tout comme il y a des versions de certaines histoires qui n’intéressent personne.
L’autre soir, je discutais avec une collègue travailleuse sociale, tout autant déroutée que moi face au déficit d’empathie dans notre société. Je lui disais que je ne comprends pas pourquoi le fait de se demander « pourquoi ? » n’est pas davantage valorisé. Elle m’a répondu que l’on vit dans un monde où le déni est souvent plus facile. Que la vérité fait trop mal pour certaines personnes !
Nous ne luttons pas à armes égales dans la vie. Ainsi, l’empathie, c’est se demander, « et si, ça avait été moi ? » Les puissants savent très bien que l’on perd tous à vivre comme des zombies en déconnexion totale de soi et des autres. En être conscient, c’est commencer à refuser ce piège.