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Immigration et criminalité: être jeune, se voir et être vu

«Je ne porte jamais de chandails rouges parce qu’on va penser que je suis un membre de gang de rue.»

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(Montage Noovo Info et de la banque d'images Envato)

Dans le cadre de mon travail, j’ai souvent l’occasion de côtoyer des jeunes.

Je me souviens encore des mots de l’un d’entre eux, des mots qui pèsent creux en moi à ce jour. Il m’a offert une fenêtre très privilégiée sur sa réalité.

«Quand j’étais enfant, les gens me trouvaient cute. Maintenant que j’ai l’air plus grand, on a peur de moi quand je marche dans la rue. Je ne porte jamais de chandails rouges parce qu’on va penser que je suis un membre de gang de rue.»

J’ai tenté de cacher ma stupeur face à une innocence qui était déjà en train de mourir avant qu’elle n’ait pu naître. J’étais devant un jeune adolescent noir, de 14 ans, tout au plus. Plusieurs questions défilaient alors dans ma tête: «Où est-ce qu’il a appris ça ? Comment répondre à ça ?»

En l’écoutant, j’ai réalisé que la société ne voyait pas ce jeune avec le même regard que moi. À mes yeux, j’étais face à un jeune qui n’a rien à voir avec le monde interlope, qui n’aurait jamais fait de mal à une mouche et qui s’exprime à la manière d’un préadolescent bien qu’il soit déjà perçu comme une grande personne.

L’adultification des enfants racisés

Ce phénomène a un nom: adultification.

Rappelons cette décision du Tribunal des droits de la personne qui avait condamné le service de police de Peel, en Ontario, à verser 35 000 $ en dommages-intérêts à une fillette noire et à sa mère pour avoir fait usage d’une force disproportionnée à son égard à l’école.

C’est que deux policiers ont menotté l’enfant de six ans, qui avait une taille et un poids typique des enfants de cet âge. Ils l’ont maintenue sur le ventre pendant environ 28 minutes. Selon la décision, l’enfant a été victime de discrimination basée sur sa race. Cette jeune enfant avait également déjà vécu de grandes épreuves à son âge: l’assassinat de son papa et la maladie de sa maman.

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En raison de notre héritage esclavagiste et colonial (hé oui, les immigrants n’ont pas le monopole de la violence), les enfants noirs et racisés sont très rapidement perçus comme des adultes. Surveillés à outrance et sous-protégés par nos institutions, une présomption de culpabilité plane sur leurs épaules en permanence. Ils n’ont pas droit au bénéfice du doute. Ils sont également punis plus sévèrement que leurs camarades blancs pour des comportements qui sont pourtant le propre de la jeunesse.

L’acting out des jeunes

Les enfants ne communiquent pas leur détresse par des analyses sociologiques pointues, car ils n’ont pas la capacité de le faire. Ce qu’un enfant vit se traduit souvent par ses comportements. L’agitation peut être de l’ennui, la colère de la tristesse, le repli sur soi est parfois de la peur. S’endormir en classe peut être le lot d’adolescent-es qui prennent soin d’autres personnes à la maison, malgré leur jeune âge.

Il n’existe pas de «mauvais enfants». Il n’y a que des adultes qui ne savent pas «voir» ces jeunes dans leur humanité alors qu’ils vivent des situations qui les dépassent.

Pour beaucoup de jeunes, surtout les enfants racisés, l’école est tout sauf une «deuxième maison». Plusieurs études ont démontré que le corps enseignant a des attentes qui diffèrent selon la couleur de peau de leurs élèves. Elles sont souvent très basses envers les enfants racisés. Certain-es sont même découragés de poursuivre leurs aspirations professionnelles par des figures d’autorité, sans justification valable.

J’aimerais vraiment que l’on rappelle à ces prophètes de malheur: à quoi sert l’école si on est sensé y arriver en sachant déjà tout sur tout? Ne faudrait-il pas apprendre à miser sur du potentiel?

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Les «ennemis intérieurs» de la civilisation

Naître dans une société où l’on est sans cesse perçu comme un ennemi intérieur de la civilisation épuise. Ce qui est encore plus aliénant, c’est le gaslighting institutionnel. Ces jeunes savent très bien qu’ils ne font pas le poids face à ces adultes à cravate qui croient avoir l’âge de raison. Comment avoir une force de frappe pour contrer les amalgames douteux de ceux qui jouent au ping-pong politique avec la vie et les espoirs de la jeunesse racisée?

Ces jeunes, ils m’écrivent, ils m’émeuvent et ils me redonnent foi en l’humanité. Ils sont loin d’être aussi dupes que l’on pourrait le croire, comme certain-es d’entre eux l’expriment si bien sur ce balado du média La Converse.

J’écris cette chronique pour leur dire que je les vois et qu’ils ont le droit d’aspirer à tout ce qu’il y a de plus beau, grand et fort dans la vie. Ne laissez jamais la haine et la division avoir le dernier mot, peu importe les cancans de basse-cour de grandes personnes qui visiblement ont perdu de vue les blessures de leur propre enfance.

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