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Nous sommes plusieurs à nous demander «pourquoi» au lendemain du meurtre de Robyn-Krystle O’Reilly, 34 ans, dont le corps inanimé a été retrouvé samedi dernier dans le petit village de Wickham, au Centre-du-Québec.
Depuis, son conjoint que je me garde de nommer, a été formellement accusé de meurtre au premier degré et d’outrage à un cadavre. Ce serait le 4e féminicide officiel à survenir cette année. Deux incidents restent à catégoriser comme tels, ce qui est effroyable à dire.
Je reviens à la question de départ. Pourquoi? Pourquoi, alors qu’on est à concrétiser les principales recommandations du rapport Rebâtir la confiance, y a-t-il encore des femmes assassinées pour la simple raison qu’elles sont des femmes? Pourquoi, alors qu’on installe des bracelets antirapprochement, alors qu’on injecte des millions de dollars pour aider les différents organismes – encore faudrait-il que ces dollars soient récurrents – qui viennent en aide aux victimes de violence conjugale, on est incapable de voir venir mieux que ça?
J’en ai discuté avec Claudine Thibauteau, responsable du soutien clinique et de la formation chez SOS violence conjugale. D’emblée, j’ai amorcé la discussion sur cette impression qu’on entendait moins parler de violence conjugale dans les médias depuis la fin de la pandémie, période pendant laquelle on a battu un triste record. Elle ne savait pas si elle était d’accord avec moi sur ce point. Par contre, elle me soulignait qu’à pareille date, il y a deux ans, le nombre de féminicides au Québec s’élevait à douze. Plus du double.
«C’est signe que les mesures fonctionnent même si un féminicide, c’est un féminicide de trop» dit-elle.
Madame Thibauteau me souligne alors que ça prend du temps, instaurer le paquet de mesures annoncées par le gouvernement de la CAQ et l’ancienne ministre de la Sécurité publique Geneviève Guilbault. Mais, sur le terrain, elle remarque le changement. Notamment sur le nombre d’appels et de messages reçus sur les différentes plateformes de SOS violence conjugale. Le nombre de plaintes pour violence conjugale à la grandeur du Québec a augmenté. «Est-ce que ça veut dire qu’il y a plus de violence qu’avant? Je ne pense pas. Ça veut dire que les victimes vont davantage de l’avant avec le fait de porter plainte, parfois, ou de dénoncer cette situation. Et ça, c’est une bonne nouvelle», m’explique Claudine.
C’est vrai, ça prend du temps. Mais il ne faudrait pas penser que ces mesures sont une panacée. Prenons le cas du fameux bracelet antirapprochement, qui peut être imposé dans trois contextes judiciaires:
Vous avez bien lu. Si la victime ne satisfait pas à ces critères, si le couple n’est pas déjà dans un processus judiciaire où il y a eu condamnation, il ne se passera rien pantoute. Rien non plus pour un agresseur condamné pour plus de deux ans. EXPLIQUEZ-MOI ÇA.
Les criminels qui ont commis les infractions les plus graves ou violentes sont habituellement envoyés dans des pénitenciers fédéraux (deux ans et plus), et le gouvernement du Québec ne peut alors pas imposer le port d’un bracelet électronique si un condamné reçoit une libération. Dans le cas où l’homme en question aurait été incarcéré pour de la violence conjugale, ça veut dire que sa victime ne pourra bénéficier de la tranquillité d’esprit minimale que pourrait lui procurer le port du bracelet en question.
C’est arrivé à Mélanie Côté, que j’ai déjà interviewée pour un autre média. Elle a été enlevée, ainsi que son enfant de 13 mois, et séquestrée par son ex. Elle m’a raconté que son agresseur avait une pelle dans son camion et tout ce qu’il fallait pour la tuer. Heureusement et grâce à la vigilance d’une amie, Mélanie Côté a été géolocalisée et secourue par les policiers avant que le pire ne se produise. Son ex a été condamné à 10 ans de prison, mais il avait demandé sa libération d’office, et Mélanie était terrorisée à l’idée qu’il vienne finir ce qu’il avait commencé. Monsieur n’était pas éligible au bracelet, puisqu’incarcéré au fédéral.
Une femme se serait suicidée dans un contexte similaire l’an passé : elle était persuadée que quand son ex allait sortir de prison, il allait venir l’assassiner. Elle a préféré choisir comment et quand elle allait finir ses jours. Ça nous montre à quel point la violence conjugale, une violence qui se poursuit souvent au-delà de la séparation, crée une souffrance qui est intolérable.
Quand on sait que beaucoup de féminicides ont lieu dans un contexte de séparation, ces mesures sont caduques. Alors au lieu de se demander pourquoi il y a encore des féminicides malgré tous les filets de sécurité qu’on met en place, peut-être que la vraie question qu’il faut poser, c’est qu’est-ce qu’on peut faire pour aider?
Quand elle était ministre de la Sécurité publique, Geneviève Guilbault avait dit en point de presse quelque chose qui m’avait marqué : «on peut mettre toutes les mesures en place, on va toujours en échapper, malheureusement (des victimes).» Elle avait parlé d’un effort collectif pour lutter contre la violence conjugale. Et insisté sur le fait qu’on avait tous un rôle à jouer.
Il faudrait donc voir la violence conjugale comme un problème majeur de santé publique et éradiquer la mentalité «ce n’est pas de mes affaires».
J’ai demandé à Claudine Thibaudeau ce qu’on pouvait dire ou faire, concrètement, quand notre petite voix nous dit, par exemple, que quelque chose ne va pas au sein de ce couple d’amis qui se séparent. «Quand il y a séparation, il y a toujours un risque de violence. Je dirais que dans une séparation sur deux, il y a de la violence conjugale, car cette violence mène souvent à la séparation. […] Il faut ouvrir la porte…ça se peut que la personne ne nous appelle pas là, ça peut être juste dans 6 mois. Mais elle va le savoir qu’on est là. Il ne faut pas forcer les choses, il faut garder les portes ouvertes.»
Parlant de porte ouverte, j’ai discuté hier soir avec Mélanie Côté. Je vous disais plus tôt que son agresseur avait demandé sa libération d’office. Ça lui a été refusé. Mais en décembre, il aura purgé sa peine. Il sera donc libre comme l’air, mais peut-être pas autant qu’il l’aurait espéré.
Les bracelets électroniques sont déjà utilisés dans le système fédéral, mais pas nécessairement dans un contexte de violence conjugale. On les utilise pour s’assurer que l’ex-détenu respecte ses conditions. Mélanie Côté a demandé une restriction géographique. À cause de ça, elle pourrait peut-être bénéficier de la protection d’un bracelet antirapprochement. C’est à suivre.
Je lui ai demandé comment elle se sentait à l’approche du mois de la libération de son ex. Mélanie m’avoue s’être reconnue dans l’histoire de cette femme qui s’est enlevé la vie, celle évoquée ci-haut. «Tu ne peux pas savoir comment de fois ça m’est arrivé de penser à ça, de gérer le «comment». Et d’épargner à mes parents l’odieux de me chercher. Je me disais que j’aurais au moins la quiétude de savoir qu’il ne me ferait pas souffrir, qu’il n’allait pas m’arracher à mes proches. Je ne serai pas parti dans l’angoisse, la peine et la terreur. J’y ai pensé souvent à ça.»
Et sur sa sortie, elle ajoute : «Je ne sais pas ce que je vais faire. Je crains pour mon fils. Je voudrais lui mettre des Airtags partout. Quand il va sortir, il va avoir accès à internet, au téléphone, il va pouvoir parler avec des gens. Même avec un bracelet, je ne serai jamais en paix.»
Si vous ou un de vos proches êtes en détresse : 1-866-APPELLE
SOS violence conjugale 1-800-363-9010 https://sosviolenceconjugale.ca/fr