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«J’ai comme l’impression que nous n’aurons pas le choix, dans les prochains mois, de réfléchir à l’avenir de notre santé publique; de mieux comprendre ce qui s’est passé depuis deux ans pour aboutir à une certaine crise de confiance».
Je vais vous le dire tout de go: j’ai trouvé la conférence de presse du Dr Luc Boileau plutôt claire en ce vendredi après-midi – où il y avait sans doute assez peu de gens à l’écoute, malheureusement. Plus claire, en tout cas, que bien des précédentes. Et c’est tant mieux. Je le vois comme un point positif.
J’ai relevé ces messages, entre autres :
· «La vague actuelle nécessite des pratiques de soins supplémentaires qui sont exigeantes pour nos hôpitaux».
· «Cette vague estivale est plus haute que ce que nous avions anticipé».
· «Le masque demeure une mesure très efficace pour l’ensemble de la population, lorsqu’elle est prise individuellement c’est plus limité».
· «Il faut donc poursuivre nos efforts et continuer à être exigeant.»
· «Vivre avec le virus ça ne veut pas dire de vivre comme s’il n’y avait pas de virus.»
Et: privilégier les activités dehors, faire les tests rapides si on a des symptômes, s’isoler si on est malade, et la contagion dure 10 jours si on est malade.
Je ne sais pas pour vous, mais il me semble que les messages avaient rarement été aussi bien formulés.
Nommer les problèmes, décrire les difficultés, évoquer les perspectives, rappeler certaines consignes – pas toutes – et souligner des évidences évoquées jusque-là de manière plus floue, comme à propos de la durée de la contagion. Il ne manquait que la question de la ventilation – et des questions des journalistes à ce propos.
Cette brève conférence m’a surtout fait réfléchir à propos de la manière plus générale dont nous percevons et parlons, souvent plutôt négativement – je m’inclus dans le lot — de notre « santé publique ». J’ai aussi pensé aux conséquences plus larges que cela pourrait avoir à plus long terme sur la crédibilité de l’institution et sa capacité d’aborder de manière efficace les nombreux dossiers dont elle doit s’occuper.
Autrement dit, je me suis demandé si les critiques incessantes permettent vraiment d’améliorer les choses et à qui elles profitent.
En réalité, est-il possible que ceux et celles qui contestent le plus les mesures de santé publique profitent justement d’un affaiblissement de la capacité d’agir de l’institution?
Prenons le dossier de la variole simienne : certaines critiques fusent. On ne testerait pas assez, on ne tiendrait pas compte de la transmission aérienne, on manquerait plein de cas, il faudrait vraiment faire quelque chose, les cas vont monter, tout est hors de contrôle! J’ai lu tout cela. Et moi qui, naïvement, trouvais que jusque-là la santé publique avait l’air d’avoir bien pris en charge ce dossier.
Est-ce qu’on pourrait tester plus? Peut-être – mais personne ne m’a montré qu’il y avait une barrière à l’accès aux tests. La transmission aérienne? Elle est possible — j’en ai moi-même parlé; pour l’instant, elle ne semble pas prédominante, à moins qu’on ne pense que les hommes qui reçoivent le diagnostic – 99% des cas – ne respirent pas le même air que les femmes. Et à moins de manquer l’ensemble des cas chez les femmes.
Manque-t-on vraiment tous ces cas? C’est toujours possible — mais ça serait tout de même surprenant.
Comme médecin, j’ai reçu régulièrement dans les derniers mois des communications écrites de la santé publique qui nous informent de l’évolution de cette nouvelle épidémie. Ils nous décrivent les caractéristiques, nous informent des moyens pour la reconnaître, des tests à effectuer et indiquent la marche à suivre, notamment quant à la protection de travailleurs de la santé, qui comprend, d’ailleurs, l’usage du N95.
Il me semble que c’est un travail bien fait.
Au fait, j’emploie le terme « institution » à bon escient. Parce que depuis deux ans, et apparemment dans le regard de bien des gens, la « santé publique » se résume essentiellement au rôle du Directeur national de la santé publique, joué successivement par les docteurs Arruda et Boileau. Un rôle qui, on le sait, est en partie politisé.
Cette politisation du rôle pourrait effectivement constituer un problème. Ce double emploi pourrait influencer – et influence sans doute – le discours de « la santé publique ».
On oublie ensuite que la santé publique est une grande institution, exemplaire à bien des égards, qui comprend non seulement l’ensemble du personnel et des professionnels du ministère, mais aussi et surtout ceux et celles qui travaillent dans l’ensemble des directions régionales.
Ceux-ci travaillent jour après jour, plus près des gens et généralement un peu plus à l’ombre, attelés à une foule de dossiers essentiels pour la santé des collectivités.
Quand on voit toutes ces critiques – dont certaines sont justifiées, et que j’ai souvent moi-même formulées — fuser, je me prends parfois à penser que ça ne doit pas être très inspirant de rentrer un lundi matin au bureau pour s’occuper des dossiers importants de l’heure. Surtout qu’il s’agit de personnes, qui, comme vous et moi — peut-être plus que vous et moi — ont souffert de ces deux années difficiles.
Ce que je crains de toutes ces critiques – autant celles de gauche (pas assez de mesures) que celles de droites (trop de mesures) – c’est qu’elles finissent par affaiblir une institution publique qui a déjà donnée au chapitre des compressions budgétaires (2015), du manque de personnel, de la surcharge de travail assumée depuis mars 2020, des demandes incessantes, de la pression de vivre tout cela au cœur de la pandémie la plus importante du dernier siècle. Sommes-nous bien conscients de tout ce que ces gens ont vécu?
Bien sûr tout n’est pas parfait. Il ne s’agit pas de défendre l’indéfendable – la fonderie Horne quelqu’un? – ou encore, de passer sous silence les faiblesses de certaines orientations, sans parler des imprécisions et du flou de la communication publique. De la place pour l’amélioration il y en a certainement et j’en ai souvent parlé.
En soulignant aujourd’hui sur les réseaux sociaux que le discours du Dr Boileau était plus factuel, simple et clair qu’à l’habitude, j’ai déclenché une flopée de commentaires négatifs sur tout ce qui n’avait pas été factuel, simple et clair jusqu’ici. Évidemment, on peut aimer souligner les points positifs, mais ça ne semble pas la priorité de tout le monde.
Il faut tout de même continuer de réclamer plus de faits, de clarté et de simplicité dans les communications de nos dirigeants et portes paroles. La raison est simple : c’est parce que tout le monde en bénéficie, notamment la santé publique elle-même, ne serait-ce que pour reconstruire une confiance qui semble avoir été affaiblie.
À ce sujet, je me demande si la question de l’impact potentiel d’une perte de confiance des citoyens envers la santé publique et sur sa capacité à agir a été étudié.
Chose certaine, la question de l’indépendance du Directeur national de la santé publique doit continuer à être débattue. Plusieurs observateurs soulignent que sa proximité avec le gouvernement ne sert pas à la création d’un discours qui devrait être centré sur la défense de la santé de la population.
S’il faut faire cette réforme, qu’elle s’enclenche.
Tout cela m’a replongé en 2015, alors que plusieurs — comme moi —demandaient de protéger les budgets de la santé publique qui était alors perçue comme essentielle et faisait l’objet de coupures dans l’ordre des 30%.
Stoppons les coupures en santé publique.http://t.co/RSLuWMd48m
— Alain Vadeboncoeur (@Vadeboncoeur_Al) April 28, 2015
Signez la pétition!#santé #polqc #assnat
D’une part, parce qu’il semble que les impacts de ces coupures se font encore sentir dans la capacité de répondre à la pandémie de COVID-19, voire dans la qualité et la profondeur de cette réponse.
D’autre part, parce que je n’ai pu m’empêcher d’établir un parallèle avec la situation actuelle, alors que pour des raisons différentes, l’institution est de nouveau plongée dans la tourmente.
J’ai comme l’impression que nous n’aurons pas le choix, dans les prochains mois, de réfléchir à l’avenir de notre santé publique; de mieux comprendre ce qui s’est passé depuis deux ans pour aboutir à une certaine crise de confiance; peut-être même de redécouvrir l’ampleur de ses champs d’intervention.
Bref, j’ai l’impression que nous sommes dus pour s’occuper de la santé de notre santé publique, parce qu’il y va de notre santé... publique ou pas.