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Certains débats me semblent si déconnectés de la réalité que je ne m’y engage qu’à reculons, notamment celui sur la langue des soins, sinon pour souligner l’absurdité d’une situation ou la futilité des discussions.
Je vais commencer par ma conclusion : il est tout à fait évident que je vais continuer de parler aux patients dans la langue de mon choix, et ce jusqu’à la fin de ma carrière de médecin.
Dans mon cas, ça veut dire le français la vaste majorité du temps, l’anglais assez souvent et l’italien aussi, soit pour bien me faire comprendre de mes patients — un aspect crucial de la dispensation des soins — soit simplement pour le plaisir d’établir un lien particulier avec plusieurs d’entre eux.
Quant aux patients anglophones, un peu moins nombreux dans le lointain Est de Montréal où je travaille, ce n’est sûrement pas par souci de me rappeler mes escapades en Grande-Bretagne, en Ontario, aux États-Unis ou jusque dans le West Island que j’emploie l’anglais avec eux. C'est pour faciliter la communication lorsque requis.
Ah oui : je parle un peu italien. C'est notamment parce que je suis passé quatre fois dans ma vie par ce beau pays qu’il m’était venu jadis l’idée de l’apprendre un peu plus formellement. Et dans l’est de Montréal, une partie de mes patients parlent italien – parfois même seulement italien, même s’ils sont ici depuis plus de six mois, imaginez. Mon italien médical a moins de succès aux marchés de Rome, mais bon, ça tient la route à l’urgence.
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Plusieurs soignants à l’urgence parlent espagnol, ce qui est parfois fort utile pour bien communiquer avec un malade hispanophone. Mais comme ce n'est pas mon cas, alors je leur demande de temps en temps de l’aide. Parfois, c’est encore plus éloigné de mes connaissances linguistiques : russe, polonais, arabe, turc, vietnamien, et que sais-je ?
Par contre, mon collègue Georges Lévesque (« Une pilule, une petite granule ») se débrouille pas mal du tout, non seulement en français, anglais et italien, mais aussi en espagnol, et même en arabe. Et il faut voir la tête — et le sourire ! — des gens parlant ces langues quand il se lance dans un questionnaire médical animé en mandarin !
Quant à moi, plus limité dans mes capacités langagières, il faut reconnaître qu’avec la plupart de ces personnes qui ne parlent que peu ou pas français, ni italien ni anglais, j’arrive tout de même habituellement à me faire comprendre assez bien, parfois à grand renfort de gestes ou avec l’aide d’un membre de la famille ou même plus formellement d’un interprète.
Peu importe le moyen, ce qui est essentiel, c’est qu’il faut toujours s’assurer d’une compréhension optimale des enjeux quand il s’agit, par exemple, d’obtenir un consentement pour une intervention comportant certains risques. C’est même une obligation professionnelle !
Je vous annonce donc une grande nouvelle : ça va rester comme ça.
Je vais continuer de choisir la langue avec laquelle il est plus facile de communiquer avec mes patients ou avec laquelle j’ai le plus de plaisir à échanger, peu importe qui pourrait souhaiter que ça se passe autrement.
Parce que vous admettrez qu’avec cette obligation d’établir une bonne communication pour comprendre et être compris, jamais personne ne parviendra à m’empêcher de parler en italien à une femme née à Naples ou en anglais à un citoyen de Brossard, en particulier s’il s’agit de la meilleure langue commune pour discuter des soins.
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Jamais personne, que ça plaise ou non. Je peux même ajouter que si je juge que d’établir une complicité dans la langue de mon choix avec la personne que je soigne est une bonne chose, même quand ce n’est pas essentiel, je vais le faire et il n’est pas né celui qui m’en empêchera — ou alors il devra d’abord m’avoir retiré ma licence de médecin.
Et qu’on ne s’y trompe pas : j’aime ma langue, le français, je la pratique beaucoup et je poursuis mon apprentissage chaque jour — le travail d’une vie ! —, j’y réfléchis régulièrement et je m’en inquiète souvent, je suis même du genre à pleurer en écoutant la chanson « Mommy, Daddy» et suis bien conscient qu’il faut la protéger de notre mieux pour éviter d’être un jour englouti linguistiquement dans la grande mer anglophone de l’Amérique du Nord. Bref, je suis pour sa défense bec et ongle.
Mais ce qui se passe entre mon patient et moi, la langue que j’utilise pour m’assurer d’une compréhension mutuelle, les choix que je fais pour permettre un échange optimal, cela ne regarde que moi et mon patient, et ça sera le cas tant que je pratiquerai ma profession.
Du reste, je ne suis pas juriste, et je n’ai pas analysé tous les détails du projet de loi 96, mais je doute vraiment que l’intention vise quoi que ce soit d’autre que le statu quo en santé ou qu’il y ait matière à s’inquiéter, du moins dans le petit domaine que je connais un peu, celui de la relation entre le médecin et le malade et dans les absolues nécessitées de compréhension établies pour la communication médicale.
J’en doute d’autant plus que cette relation privilégiée est protégée par plusieurs lois et principes déontologiques que je ne pourrais imaginer menacés par une quelconque juridiction sans dériver vers l’absurde. Et si certaines personnes sont inquiètes à raison, qu’on clarifie les éléments en cause, voilà tout, et qu’on passe à autre chose, c’est-à-dire ce qu’on fait maintenant.
Quant à moi et mes patients, vous me permettrez de continuer à leur lancer en italien un « come stai oggi? » avec mon mauvais accent, un « how are you today? » s’il le faut, et même un aimable « assalamu alaykum » pour dire au revoir à ceux et celles qui parlent arabe, en souvenir de six beaux mois consacrés durant ma jeunesse à parcourir les déserts du Maghreb.