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«On a tous voulu croire à l’hypothèse de la blague rustre et épaisse, conforme au personnage. Oui, mais non.»
La rumeur roulait, il y a une douzaine de jours, qu’un conseiller d’importance de Trump mettait de la pression afin de redessiner la frontière canado-américaine. La nouvelle, rapportée par le Britannique Telegraph: «Peter Navarro a recommandé de revoir la frontière entre le Canada et les États-Unis, ce qui est fou et dangereux. Il profite du fait qu’il soit seul et que personne d’autre ne soit en poste pour remettre ses positions extrêmes.»
Fort de l’info, je lance une petite capsule sur l’affaire, suite d’une série (sur les réseaux sociaux) sarcastiquement intitulée «MAKE FASCISM GREAT AGAIN». Comme d’ordinaire, réception d’un mixte de commentaires stupéfaits et cyniques. Parmi ces derniers, le classique des derniers mois : «Ben voyons donc, Trump fait juste nous troller! Aucune chance qu’il débarque ici! C’est juste qu’il haït Trudeau!»
On a tous voulu croire à l’hypothèse de la blague rustre et épaisse, conforme au personnage. Oui, mais non. Parce que malgré les apparences, chacun des pions avancés par Trump l’est à dessein. Et pour cause: si son premier mandat fut simultanément brouillon et confus, le deuxième sera préparé avec machiavélisme et minutie. Rien dans les bras du hasard. Tout dans ceux d’une planification réglée au quart de tour.
Suffit de jeter un œil au ténébreux Project 2025, brique de jeux funestes destinée à la destruction avouée des socles institutionnels démocratiques, sur lesquels reposent la société américaine et la communauté internationale.
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Le New York Times confirme et ajoute, aujourd’hui, au scoop du Telegraph. Il titre : «How Trump’s 51st State Canada Talk Came to Be Seen as Deadly Serious.» On y apprend, froid dans le dos, que Donald aura passé un appel à Justin, quelque part en février, remettant effectivement en cause les frontières canado-américaines. La raison? Que le traité bilatéral signé en 1908 serait invalide. Parce que? Pas important.
Autre affaire, toujours selon le Boss : le partage des lacs et des rivières du Sud canadien est inéquitable, voire défavorable aux É.-U. Faudra ainsi renégocier l’entente. Plate de même. On se rappellera d’ailleurs la promesse, en pleine campagne électorale, «d’ouvrir le très gros robinet du Canada» afin d’éteindre les incendies californiens et combattre les sécheresses du jardin de l’Oncle Sam.
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Subtil comme un deux par quatre plein de clous, le Donald.
L’actuelle guerre tarifaire s’inscrit d’ailleurs dans cet ordre stratégique : étouffons économiquement le Canada, en attente du drapeau blanc. Après ? On ramasse. D’abord dans le sud, merci au « redessinage », ensuite, on verra. On pourrait, par exemple, inviter le prochain premier ministre canadien au Bureau ovale, histoire de lui faire la même passe de mafieux que celle subie par Zelensky ? Avez-vous dit merci ?!? Vous souhaitez la 3e guerre mondiale, c’est ça ? Revenez discuter quand vous souhaiterez la paix, pas avant !
Remarquons aussi, sans forcer, les références au livre de recettes poutiniste. La triste saga de l’Ukraine, bien entendu, et sa fausse excuse de territoires appartenant prétendument à la Russie. Autre exemple : celui des droits afférents au pétrole de la Mer Caspienne.
Bien que négociés en toute légalité entre l’URSS et l’Azerbaïdjan, Poutine invoquera la nullité de l’entente (et des frontières discutées) du fait que l’URSS n’existe plus. Un p’tit deux sur l’invocation par Trump d’une rhétorique semblable ici, c’est-à-dire que le Dominion britannique — et non le Canada — aura signé l’Accord de 1908.
D’aucuns répliqueront, anxiété oblige, qu’un président américain doit impérativement obtenir l’approbation du Congrès afin de se lancer dans une quête militaire du genre. Théoriquement, oui. Mais factuellement? Pas sûr. Pensons notamment à Truman (Corée), Reagan (Lybie, Grenade et Liban), George W. Bush (Panama) et Obama (Lybie), lesquels auront procédé nonobstant ledit consentement. Il serait douteux, pour dire le moindre, que Donald se prive de si bons précédents.
Et l’OTAN? Quoi, l’OTAN? Une fois trahie par Washington (au profit de la Russie), finito, l’OTAN. Particulièrement dans le cas d’un conflit outre-Atlantique.
Des doutes? Suffit de voir la réaction du premier ministre britannique, questionné sur sa posture éventuelle dans le cas d’une attaque É.-U. envers le Canada. Quand on est rendu à supplier le Roi Charles de son aide, entre deux séances de jardinage, c’est dire….
Reste quoi, alors, comme espoir ? Un peuple américain fâché noir contre Trump et ses suppôts, ceci empêchant les velléités d’agression au nord de la frontière?
Je ne pense pas, non. Parce que si cette frustration, voire une révolte populaire explose enfin, celle-ci n’aura tristement rien à voir avec des idéaux humanistes ou pacifistes.
Plutôt, au mieux, avec le prix des œufs.
C’est ça qui est ça.
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