Est-ce devenu gênant d’avoir un chum ? C’est la question posée par la journaliste Chanté Joseph dans un article du Vogue traduit en plusieurs langues et devenu viral sur les réseaux sociaux ces derniers jours. Loin d’être farfelu, le sujet témoigne d’un tournant dans les relations hommes-femmes.
La tendance est là: les femmes exposent de moins en moins leur nouvelle flamme sur les réseaux sociaux.
C’est de cette prémisse que Chanté Joseph s’est inspirée pour son article Is Having a Boyfriend Embarrassing Now (traduit ici en français), paru dans la plus récente édition du magazine Vogue d’Angleterre.
Elle y explique en 1500 mots à quel point afficher son couple (hétérosexuel) n’est plus un synonyme de réussite — mais plutôt de gêne, voire de honte. Ce qui paraissait auparavant relever d’un certain prestige social (être en couple et montrer une photo de son amoureux, par exemple) est aujourd’hui perçu comme une perte d’indépendance, d’autonomie, d’identité même, écrit-elle.
La chroniqueuse explique que les femmes ne veulent plus d’une image publique qui les colle à un partenaire : elles préfèrent ainsi montrer une main sur leur cuisse, deux verres de vin côte à côte, l’épaule de leur chum ou encore, la photo d’un homme de dos.
Ce désengagement sur les réseaux sociaux traduit un basculement dans la façon de voir et de vivre le couple hétéro, avance-t-elle : être en couple n’est plus un accomplissement. Il n’est plus synonyme de réussite. Et une femme n’est plus légitimée ou validée ou «complète» parce qu’elle est en couple. Au contraire.
On est rendu ailleurs, clame la journaliste dont l’article fait couler beaucoup d’encre depuis sa sortie le 29 octobre.
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Un célibat assumé
Fascinant, percutant, éclairant, l’article de Chanté Joseph révèle le changement de paradigmes auquel on assiste — et sur lequel je me penche depuis quelque temps.
Je le vois autour de moi. Des amies célibataires, géniales, radieuses, brillantes, ambitieuses, célèbrent leur statut. Elles aiment leur célibat, le revendiquent, le protègent.
Alors que les femmes des générations précédentes s’effaçaient dans leur relation de couple (au point d’en perdre leur nom de famille en se mariant, imaginez), elles revendiquent aujourd’hui le droit et le besoin de ne pas être invisibilisé. Elles se détachent d’un modèle fusion (prédominant il n’y a pas si longtemps) où il était bien vu de ne pas exister en-dehors de son couple, pour se rapprocher d’un célibat choisi, assumé — et parfois envié.
«J’ai tellement travaillé sur moi-même, j’ai tellement évolué, j’ai tellement investi dans mon développement personnel, à coup de séances chez le psy et d’introspection, que je me demande quel homme pourrait me donner envie de m’engager, de raconter ma journée, de faire des plans, de partager mon espace», me confie une amie célibataire après avoir lu ladite chronique.
Elle me raconte à quel point elle a «créé sa vie», riche de relations avec sa famille, ses amis, ses collègues. Et célébrée par son clan rapproché, des copines (en couple ou pas) à la grande maturité et acuité émotionnelle.
Évolution et célébration
Mais où sont les hommes qui ont tout autant avancé, évolué, travaillé, changé ? J’entends fréquemment cette question chez mes copines qui fréquentent les applications de rencontres, sorte de gouffre sans fond, de relations insignifiantes, ennuyantes et jetables.
Je me demande donc si la question est vraiment «Est-ce devenu gênant d’avoir un chum?»
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Je me demande si ce n’est pas plutôt: où sont les hommes qui ont envie d’aimer et de célébrer les femmes d’aujourd’hui, les battantes, les défonceuses de plafond de verre, les gagnantes, les impertinentes et les fonceuses, celles qui ont travaillé et investi sur elles-mêmes, celles qui ont évolué et qui se sont transformées?
Je ne sais pas si être en couple est devenu démodé, comme le questionne la journaliste Chanté Joseph. Ou si c’est vu comme « trop traditionnel » et donc « trop à droite », comme l’ironisent certaines influenceuses sur les réseaux sociaux.
Changement profond
Chose certaine, le concept fondamental du couple est en changement profond. La transition est entamée : jamais les femmes n’ont été autant actives professionnellement, dans toutes les sphères de la société, et autant indépendantes financièrement.
Forcément, les raisons pour lesquelles elles se tournent vers un mode de vie «en couple» ont changé. Elles n’ont plus besoin d’un partenaire pour connaître la sécurité financière, pour être reconnues et valorisées socialement, pour accéder à la maternité, elles n’ont plus à se conformer socialement ni à répondre à des pressions religieuses.
Pourquoi alors être en couple?
«Pourquoi être en couple lorsqu’on a l’impression que les hommes ne sont pas à la hauteur?» écrit l’une des lectrices de l’article de Mme Joseph sous sa publication. «Les hommes doivent faire mieux et passer à la vitesse supérieure.»
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