Début du contenu principal.
Lisez la chronique de Kharoll-Ann Souffrant.
Vendredi dernier, le premier ministre français, Gabriel Attal, était de passage au Québec.
Tout juste nommé en janvier dernier par le président Emmanuel Macron, Attal est le plus jeune premier ministre de l’histoire de la France en plus d’être le premier à être ouvertement homosexuel. Il est âgé de 35 ans.
Son «vibrant plaidoyer» en faveur de la laïcité et de la langue française qui lui a valu une ovation à l’Assemblée nationale m’a fait sourciller tout comme ses propos sur les écrans, les cellulaires et les jeunes.
Lors d’une visite dans une école flambant neuve de la ville de Québec en compagnie de notre premier ministre François Legault, Attal s’est questionné sur la présence de tableaux numériques. S’en est suivi une discussion à laquelle a participé notre ministre de l’éducation, Bernard Drainville, sur l’importance de la compétence numérique des jeunes pour éviter les «dangers des réseaux sociaux».
Jusqu’à sa récente nomination, Gabriel Attal était le ministre français de l’Éducation nationale et de la Jeunesse. La France a été l’un des premiers pays à adopter une loi interdisant les cellulaires dans les écoles primaires et secondaires en 2018, ce qui est considéré comme un exemple à suivre par chez nous. Pour Gabriel Attal, la place de plus en plus importante qu’occupent les écrans est une potentielle «catastrophe sanitaire et éducative», rien de moins.
Quelques jours avant sa visite, Attal a déclaré qu’il ne «veut pas d’un pays où TikTok remplace les romans, où les influenceurs remplacent les grands auteurs, et où les écrans prennent peu à peu toute la place.» C’était en réaction à la publication d’une étude «alarmante» sur le rapport de plus en plus ténu des jeunes Français à la lecture.
À la fin des années 90, une panique s’est répandue dans de nombreux pays. Plusieurs experts prévoyaient un véritable chaos au tournant du nouveau millénaire en raison de la désuétude de notre matériel informatique. Force est de constater que la fin du monde n’est pas arrivée le 1er janvier 2000 tel qu’anticipé.
À VOIR | Gabriel Attal s'adresse à l'Assemblée nationale
Pourtant, j’ai souvent l’impression que nous sommes dans une reprise du «bug de l’an 2000» lorsque j’écoute nos décideurs parler des réseaux sociaux comme s’ils étaient la peste incarnée avec un mépris à peine voilé envers la jeunesse. De plus, cette fausse dichotomie entre le «vrai monde» et le «monde virtuel» n’a plus lieu d’être puisqu’en vérité, les deux se confondent et s’influencent l’un et l’autre pour le meilleur et pour le pire.
C’est à l’université que j’ai appris qu’il y avait eu de l’esclavage au Québec. Lorsque j’étais au secondaire, nos professeur·ses nous interdisaient d’avoir recours à Wikipédia pour nos travaux comme si Wikipédia était le démon en personne. À vrai dire, j’apprends beaucoup sur Wikipédia, une encyclopédie web imparfaite, mais très utile pour trouver des références.
Aujourd’hui, je suis en fin de parcours de doctorat. À mon propre étonnement, j’enseigne à l’université. J’ai toujours adoré apprendre, mais j’ai détesté mes études primaires et secondaires. Comme beaucoup d’autres jeunes de la diaspora haïtienne, on m’a souvent dit que je viens d’un pays «pauvre» et «maudit», sans aucune mise en contexte, comme si «pauvre» et «maudit» étaient synonymes avec «Haïti».
Pourtant, j’en ai beaucoup plus appris sur Haïti par TikTok que pendant l’entièreté de mes années passées sur les bancs des écoles. Par exemple, Bertrhude Albert, une Américaine d’origine haïtienne, utilise son diplôme doctoral pour raconter l’histoire du premier pays à avoir aboli l’esclavage. Elle croit aux révolutions générées par les livres et les crayons. Ses vidéos sur Instagram dont elle fait la narration avec une fierté et une fougue palpables ont souvent été mon point de départ pour trouver des ouvrages ayant été consacrés à la première république noire du monde.
N’en déplaise aux donneurs de leçons, mais produire ce type de contenu pour le Web demande du talent, du temps et des compétences. L’école est aussi un lieu d’endoctrinement. Tout ce qu’on choisit d’y enseigner (ou pas) et la manière dont on choisit de le faire sont de facto politiques.
Lorsque j’étais au cégep, une collègue a dû refaire son épreuve uniforme de français à de multiples reprises contrairement à moi qui l’avais réussie du premier coup. Cette foutue épreuve était la seule chose qui lui manquait pour obtenir son diplôme. Elle a fini par l’avoir, mais je me souviens de l’impact négatif de cette situation sur sa confiance en elle, ce qui en dit long sur son expérience dans le système d’éducation.
Ici, les enfants passent plus de temps à l’école qu’à la maison. Et je n’ai pas de mots assez forts pour exprimer le mépris que je ressens envers ces enseignant·es, certains qui dès le primaire (!), affirment avec conviction que tel jeune est un «bon à rien» ou un «futur prisonnier» et qui s’autorisent à dire de telles sottises au jeune en question parce qu’il a des difficultés académiques et/ou comportementales.
No offense, mais… la job d’un enseignant·e, c’est d’enseigner. Ce n’est pas être diseur de bonne aventure, «Ti-Joe Connaissant» ou Dieu. Nous apprenons tous et tout au long de la vie tout comme il existe plusieurs formes d’intelligence.
Pour ma part, j’ai enseigné à l’université dans mon domaine à plusieurs reprises… en anglais. Fait étonnant: je ne parlais pas un seul mot d’anglais lorsque j’étais petite. C’est par les paroles des chansons de Coldplay, l’un de mes groupes préférés, que j’ai appris «la langue de Shakespeare».
Comme beaucoup d’acteur·ices du monde de l’éducation et de sommités ayant récemment demandé un moratoire sur l’intelligence artificielle, je suis préoccupée par l’arrivée de ChatGPT. Or, des tricheur·ses, il y en a toujours eu. Ce qui change, ce sont les moyens utilisés.
Pourquoi s’étonner lorsqu’on publie encore des palmarès des «meilleures écoles» en attribuant des «0 sur 10» (?!) à certains établissements? Pouvez-vous imaginer le poids de la stigmatisation pour les élèves d’une école que l’on surnomme le Bunker parce qu’il y est impossible d’y voir la lumière du jour? Qu’est-ce que cela veut dire lorsque des enseignant·es qualifient de «crème de la crème» des élèves qui, comme moi, étaient en programme d’éducation internationale?
D’ailleurs, le mouvement québécois École ensemble propose plusieurs pistes de solutions pour lutter contre le système d’éducation à trois vitesses composé du régulier, des programmes particuliers et des écoles privées.
L’intelligence artificielle, Internet et les réseaux sociaux ont transformé nos vies. Ils ont fragilisé des industries comme celle des médias en plus de siphonner le temps consacré aux gens que l’on aime au profit du travail. La cyberviolence, la propagande tout comme le non-respect de la vie privée à l’ère des Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft de ce monde sont des menaces à l’idée même de démocratie. Mais ils sont là pour rester, qu’on le veuille ou non. S’y adapter avec vision et courage est la voie à suivre… jusqu’à la prochaine innovation.
Blâmer ces petits gadgets à écrans est la voie facile. Il importe surtout de déconstruire ce qui a mené des générations d’enfants à valoriser le résultat plutôt que le processus, la facilité plutôt que l’effort ainsi que les notes au lieu du plaisir d’apprendre.