Une salve d’insultes envoyée à un voisin sur un groupe Facebook de quartier, une blague douteuse sous un TikTok viral, une mention «j’aime» sous une publication qui contient des propos haineux… Des employeurs reçoivent de plus en plus de captures d’écran dénonçant des propos tenus par leurs employés sur les réseaux sociaux. Des publications qui sont souvent faites à partir d’un compte personnel, en dehors des heures de travail… mais qui peuvent tout de même avoir des conséquences professionnelles.
«Il y a peu ou pas d’expectative de vie privée sur un réseau social comme Facebook, par exemple», précise d’emblée Me Marie-Hélène Jolicoeur, avocate spécialisée en droit du travail chez Lavery. Détrompez-vous si vous croyez qu’il s’agit seulement de vos publications. Les commentaires sous les publications de nos amis font tous partie de la sphère publique et même les mentions «j’aime».
Ces petits pouces bleus populaires sur la plateforme Facebook ont d’ailleurs été sous la loupe d’un tribunal en 2022. Le cas en question concernait une policière de Saint-Eustache qui avait apposé des mentions «j’aime» sur les publications de personnes liées au crime organisé. Cette dernière a finalement été congédiée. Une demande de révision judiciaire faite par la policière a par la suite été rejetée, confirmant ainsi la décision initiale.
«La juge a considéré que c’était grave, que c’était problématique, donc de faire attention à ces éléments-là», ajoute Me Jolicoeur.
Propos dégradants et réputation
Et la limite? Vous la franchirez évidemment si vous tenez, par exemple, des propos dégradants qui contreviennent à votre «obligation de loyauté» ou qui peuvent nuire à la réputation d’un membre du personnel et de l’entreprise. Aucune différence n’est d’ailleurs faite si ces publications sont rédigées sur vos heures de travail ou durant votre temps libre.
«C’est le genre de propos qui peuvent être sanctionnés par l’employeur. L’employeur peut agir, explique Me Jolicoeur. Ça va dépendre de la gravité. Donc il pourrait y avoir une suspension. Et dans les cas plus extrêmes, il y en a eu, c’est des congédiements.»
Des propos racistes ou dénigrants envers une communauté religieuse peuvent également être sanctionnés. «Comme employeur, je vois ça ou j’ai connaissance de ça, mais ça ne répond pas à mes critères d’éthique, ça se peut que ça aille plus loin», illustre l’experte.
Et ça ne se limite pas uniquement à des comptes utilisés à des fins professionnelles, bien qu’il soit généralement nécessaire de pouvoir établir un lien entre l’employeur. Et être en mesure d’identifier l’auteur des propos, évidemment. «Ça se développe un peu, mais ce qu’on voit le plus dans la jurisprudence, dans les décisions qui sont rendues par les tribunaux, c’est qu’on est capable de faire une connexion avec l’emploi occupé», ajoute Me Jolicoeur.
Et les messages privés?
Des discussions entre collègues sur des plateformes de messagerie comme Messenger ou WhatsApp peuvent aussi conduire à des sanctions disciplinaires, comme le prévoit la Loi sur la santé et la sécurité du travail en matière de prévention (LSST).
«Si à un certain moment, un employé n’est pas satisfait de ces discussions-là et il va voir son employeur pour lui dire qu’il se fait intimider et qu’il va faire une plainte contre le harcèlement, l’employeur n’aura pas le choix d’agir, même si ça se passe à l’extérieur du travail», poursuit Me Jolicoeur.
Légale, la politique pour les réseaux sociaux?
Aux yeux de Me Marie-Hélène Jolicoeur, les employeurs devraient tous se doter d’une politique sur l’utilisation des réseaux sociaux.
«Il n’y a pas d’expectative de vie privée, ça prend une faute. Sinon, avec un collègue, il faut que ça déborde. Mais après ça, c’est quoi la sanction qu’on va donner?, questionne-t-elle. Là on va regarder la gravité et certains éléments vont être des facteurs aggravants comme nier ou mentir.»
Lorsqu’on connaît la politique en place, les limites sont ainsi connues. «Quand on connaît les balises, quand il y a une politique dans laquelle normalement on propose des formations aussi, c’est un facteur aggravant qui fait qu’on savait en plus», poursuit-elle.
Une faute avouée est à moitié pardonnée
Si connaître la politique en place est un facteur aggravant, certains gestes peuvent toutefois atténuer la potentielle sanction si vous franchissez la ligne.
«Si l’employeur le rencontre, qu’il fait preuve d’autocritique, s’il retire la publication, on peut agir pour récupérer et ce sont des facteurs atténuants qui pourraient peut-être sauver l’employé d’un congédiement», soutient Me Jolicoeur.

